Oh les beaux jours du théâtre des Martyrs

La critique de la pièce par Elodie Kempenaer en 2018

De Samuel Beckett. Mise en scène de Michael Delaunoy. Avec Anne-Claire & Philippe Vauchel. Du 7 au 17 janvier 2020. Une production du Rideau de Bruxelles au Théâtre des Martyrs. Crédit photo : Alessia Contu

Une nouvelle journée commence, annoncée par le bruit agressif d’un réveil perçant et Winnie, enterrée jusqu’à la taille s’apprête à vivre un autre beau jour. Elle retrouve avec enthousiasme ses occupations quotidiennes, son sac qui contient différents objets qu’elle sort tous les jours, l’un après l’autre selon les moments de la journée, en essayant de le faire au bon moment, ni trop tard ni trop tôt. Après avoir brossé ses dents, mis son chapeau, et rangé quelques objets devant elle, Winnie, bloquée dans son trou, essaie aussi de communiquer avec son époux, Willie (Philippe Vauchel). Il est «de l’autre côté », elle en présume la présence et l’encourage à parler sans beaucoup de succès. C’est juste un beau jour comme un autre et la nuit arrive, suivie d’un autre jour et puis d’un autre.

Le jeu de Anne-Claire donne vie à une Winnie enthousiaste, qui s’émerveille comme un enfant face à tout. Emprisonnée dans le sol, elle profite de chaque petit événement qui égaie sa routine : le soleil qui est toujours là et qui brule la peau, son sac à explorer, les quelques mots sporadiques de son Willie. Elle bouge ses bras, cherche à se pencher en arrière pour regarder son mari, manipule les objets autour d’elle et exprime sa joie de vivre malgré tout. Son corps, ainsi découpé, nous raconte un aspect critique et en même temps fondamental de l’existence humaine, notre condition d’êtres mortels, toujours entre la vie et la mort, pas totalement maitres de notre propre histoire, qui se dilue dans les beaux jours passés et se projette dans les beaux jours à venir.

Grâce à cette contrainte physique, par des gestes précis et rythmés, Anne-Claire réalise magnifiquement une partition de mouvements qui accompagnent l’enchainement des mots, à la fois sagaces et ironiques. C’est assez impressionnant d’assister à cette performance dans laquelle la moitié d’un corps, et ensuite seulement un visage, représentent la condition de l’humain tout entier. Le style assez excentrique du jeu d’acteur rend Winnie un personnage très touchant. S’il est évident que sa situation n’est pas des plus heureuses, il est aussi clair que la mise en scène de Michel Delaunoy et l’excellent travail scénographique libèrent le personnage de Winnie de toute peur ou tristesse : malgré cette existence paralysée, elle arrive à donner de la valeur aux choses et, même quand les souvenirs l’amènent loin dans le passé, elle ne se laisse jamais vaincre par la nostalgie. Il s’agit d’une version originale et contemporaine de Oh les beaux jours, réalisée au travers d’un subtil travail dramaturgique qui respecte totalement le message profond de Samuel Beckett.

A propos Elisa De Angelis 55 Articles
Journaliste du Suricate Magazine