Ce jour te fera naitre et périr : Sophocle dans l’univers carcéral

© Pierre Jacquin

Textes et extraits de Œdipe Roi & d’Antigone de Sophocle. Dramaturgie et mise en scène de Julien Lemonnier, Camille Sansterre. Avec Patrick Brüll, Olivier Constant, Mercedes Dassy, Céline Peret, François Sauveur. Avec les voix de François Sauveur & Françoise Gillard. Du 18 octobre au 22 octobre 2022 au Théâtre des Martyrs.

Sur la scène du théâtre des Martyrs, nom prophétique de ce qui allait se jouer sur scène, quatre prisonniers vont participer à une expérience de réinsertion expérimentale. Quatre destins et au cœur de ce récit, un homme Vincent, qui à travers un atelier théâtral va les initier à l’œuvre de Sophocle.

Comment se relève-t-on quand on a chuté ? Est-ce que la résilience est possible ? C’est sur base d’une réelle expérience menée en Norvège que Julien Lemonnier et Camille Sansterre nous raconte cette odyssée de quatre prisonniers. Immersion totale dans l’univers carcéral et ses fantômes. Chaque personnage présent sur scène nous montre ses blessures, ses failles, ses entraves. Dans une prison dépourvue de chaines et de menottes, une réflexion est menée sur la nature réelle de leurs prisons psychologiques, sociales et humaines.

Critique d’un système

C’est avec un réel souci de pertinence que la pièce a été construite. Il y a derrière chaque profil de prisonniers, une identification d’un mal qui ronge lorsque l’on est enfermé sans perspective, ni espoir : la colère, le trauma, l’échappatoire et la perte de contrôle. Par ce constat dressé, il y a un parti pris sur le système carcéral qualifié de mouroir, d’un lieu sans lumière abritant des êtres brisés qui tôt ou tard réintègreront la société. Partant du postulat que l’être condamné à une peine quelconque se fera libéré, la question qui est posée est : quels sont les éléments que nous mettons en place actuellement pour éviter une récidive ? Le parallèle est fait avec une prison humaniste basée en Norvège qui prend le parti d’aider les prisonniers à récupérer une autonomie de vie. Ici, c’est à travers l’art que Vincent tentera de poser des mots sur les maux. A travers le récit d’Antigone et d’Œdipe Roi, le récit des tragédies vécues par nos quatre personnages font écho avec l’œuvre de Sophocle. Après une existence chaotique, comment trouver la force de l’espoir ? La force de tout recommencer quand on est confronté au regard de l’Autre ?

Big Brother ou l’introspection filmée

La mise en scène joue sur les codes de l’univers carcéral tel qu’on se le figure : lumière aveuglante, casier métallique, absence de chaleur et de confort. Deux écrans surplombent la scène, nous permettant de voir entre deux sessions d’ateliers de théâtre, les réflexions menées face caméra par les prisonniers. Ce procédé induit la nature de l’absence d’intimité mais aussi dans un second temps de la nécessité de se raconter afin de se comprendre. Il y a une construction progressive du récit, de plus en plus incarné par les comédiens présents sur scène. On assiste réellement à des moments d’éclats de leurs talents sur scène. Maitrisant parfaitement la nature de leurs personnages et nous déroulant le fil d’Ariane de leurs drames respectifs. Malgré la gravité des thématiques abordées sur scène, l’humour reste l’arme choisie afin de permettre de donner à ces histoires une résonance moins douces-amères.

De nombreuses questions sont lancées au spectateur qui choisira ou pas d’y répondre en son âme et conscience. Cette œuvre nous invite à nous questionner sur le sens de la vie, notion qui prévaut pour chaque hommes et femmes de ce monde, qu’ils soient enfermés ou non. Une reconnexion certaine à la notion d’Humanité à travers la compréhension des drames d’une vie. De la compréhension que le sol sur lequel on chute est aussi celui duquel on se relève.