Juste encore assez de lumière pour les plantes d’intérieur : les fabuleuses pérégrinations du cerveau sapiens sapiens

© Olivier Donnet

Du collectif Rien de spécial. Avec Alice Hubball, Marie Lecomte, Hervé Piron, Baptiste Sornin. Du 18 janvier au 5 février 2022 au Varia

S’inspirant ouvertement du travail de la philosophe des sciences Donna Haraway, de l’écrivaine et militante ecoféministe Starhawk, ou encore des réflexions autour de l’idiotie du philosophe Clément Rosset, le collectif propose une fiction dystopique drôlissime et habilement ficelée derrière une apparence joyeusement déjantée.

Rideaux fermés, quatre chaises en plastique, trois comédiens fatigués et un animateur légèrement ahuri à casquette : la dernière pièce du collectif Rien de spécial commence par la fin, ou plus exactement, par l’après : le débriefing avec les spectateurs. Alors qu’une partie du public se demande si elle ne s’est pas trompée de salle, les questions surgissent des gradins et ont toutes en commun de n’avoir que très peu de rapport avec la représentation. L’animateur finit par s’éclipser et la troupe décide, en l’attendant, d’offrir un petit aperçu de leur maîtrise d’un exercice de conservatoire : se détendre l’intégralité des muscles du visage jusqu’à avoir l’air totalement amorphe. 

On enchaîne alors avec la présentation, cette fois, du début de la pièce, et les trois comédiens, en combinaison poilues plus vraies que nature, s’agitent dans un diorama géant et tentent de retracer l’histoire du développement de l’intelligence d’homo sapiens sapiens. Le fil rouge de la pièce est d’expliquer comment la capacité de créer des fictions de sapiens sapiens a fait de lui l’espèce dominante sur terre, tout en montrant à grand renfort de situations rocambolesques et de dialogues absurdes que c’est probablement aussi ce qui causera sa perte.

Dans ce futur qu’on peut qualifier d’extrêmement proche, la capacité de concentration et d’attention de chacun semble devenue minimale, les soucis marchands et matériels autour d’une représentation sont devenus plus importants que la représentation elle-même, et il paraît impossible de raconter une histoire jusqu’au bout tant les interventions extérieurs arrivent par légion sans se soucier de leur potentiel de nuisance.

Les dialogues et échanges évoquent plus un fil d’actualité de réseau social ou la section avis et notations de Google, tant chaque intervention semble plus à côté de la plaque que la précédente. La mise en scène joue astucieusement sur les codes du théâtre afin de troubler un peu plus le public qui est amené à constamment se demander ce qu’il regarde : la pièce, ou la pièce dans la pièce ? Alternant entre silence confus et hystérie collective, les comédiens/auteurs semblent eux-mêmes régulièrement ne plus savoir ce qui tient du jeu ou de la réalité.

Tour à tour, ils finissent peu à peu par abandonner forme humaine… Quand il n’y a plus assez de lumière, le salut est-il de devenir une plante d’intérieur ? Un peu plus en sourdine, les multiples incidents techniques, un distributeur de chips autonome et un aspirateur qui redémarre même débranché semblent nous avertir d’une potentielle imminente révolte des machines…

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