Rêve de Fevre, une fantastique intrigue historique

Titre : Rêve de Fevre
Auteur : George R.R. Martin
Editions : Pygmalion
Date de parution : 25 septembre 2019
Genre : Aventure, Fantastique

Parue en septembre dernier aux éditions Pygmalion, Rêve de Fevre est en réalité une réédition de Fevre Dream (Riverdream) paru en 1982. A l’époque, le roman fantastique de George R.R. Martin ravit les critiques issues de la presse spécialisée, mais passa relativement inaperçu auprès du grand public. En rééditant cette histoire de vampires, les éditions Pygmalion ont eu le nez fin puisque la popularité de son auteur est montée en flèche depuis la mise en images de sa série Game of Thrones.

L’histoire nous emmène au beau milieu du XIXème siècle, sur le fleuve Mississippi. Abner Marsh, vieux marin d’eau douce – au sens littéral du terme – propriétaire d’une compagnie fluviale à la dérive, se voit proposer un marché par un mystérieux investisseur nommé Joshua York. Celui-ci lui propose de racheter la compagnie et de construire le plus beau bateau à vapeur du fleuve. Seules quelques maigres conditions sont posées par ce mécène providentiel : choisir les destinations, décider des horaires, accueillir ses invités, ne jamais être dérangé dans sa cabine et ne jamais être questionné sur ses moeurs étranges. Des conditions acceptées par le capitaine. Mais au fil du fleuve et du temps qui passe, le silence se fait de plus en plus pesant et les soupçons, de plus en plus insistants.

Une histoire de vampires… mais pas que !

A la lecture du quatrième de couverture, difficile pour le profane de se dire qu’il fait face à un récit fantastique. Et pour cause, Rêve de Fevre est avant tout une histoire de vampires à la Bram Stocker, où se croisent des créatures imaginaires à la psychologie complexe, dans une ambiance hors du temps à la fois pesante et élégante. Logique nous direz-vous lorsqu’on connaît l’affection de George R.R. Martin pour le fantastique. Et pourtant, ce roman est assez éloigné des succès du créateur de Westeros. Totalement ancré dans un univers familier et dans l’histoire des Etats-Unis, le récit recèle bien d’autres qualités que son aspect fantastique. Ce qui était la norme et la surenchère dans Game of Thrones est ici réduit à peau de chagrin, l’auteur préférant travailler davantage l’âme de ses personnages que leurs interactions respectives en les contextualisant dans une période troublée.

Et c’est en cela que réside tout l’intérêt de Rêve de Fevre. De fait, le lecteur attentif aura vite fait de comprendre les tenants et les aboutissants de la fantaisie. Mais il se délectera de page en page des détails croustillants et bien documentés qui sont distillés par l’auteur.

D’une part, le roman nous narre la vie du Mississippi. Non pas de sa faune ou de sa flore, mais bien de la politique et de l’insécurité qui y règne dans les années 1850. Une terre hostile où la vie n’a que peu d’importance, surtout celle d’un esclave. 1857, année où Joshua York débarque dans la vie d’Abner Marsh, n’a probablement pas été laissée au hasard. C’est en effet cette année où des états comme l’Arkansas se dotent d’une constitution esclavagiste et explose l’affaire Dred Scott mettant à mal le Compromis du Missouri et avançant les prémices de la Guerre de Sécession qui débutera quatre ans plus tard.

D’autre part, et toujours d’un point de vue historique, Rêve de Fevre emmène son lecteur en voyage. Un voyage loin d’être idyllique puisque, outre les détails architecturaux des bateaux à aubes – symboles du Mississippi -, George R.R. Martin nous démontre la dureté de la vie sur le fleuve et ses abords, de même que la dangerosité du Sud des Etats-Unis. Par une prouesse narrative exemplaire, l’écrivain nous fait même sentir les odeurs nauséabondes qui pullulent dans la chaleur étouffante des villes de l’époque, telle que La Nouvelle-Orléans.

Long et court à la fois

Néanmoins, si Rêve de Fevre est une réussite littéraire grâce aux éléments apportés ci-dessus, l’ouvrage souffre parfois d’une certaine lenteur. Alors qu’on se complait à suivre les élucubrations des occupants du vapeur, il faut avouer que la lecture continue du bouquin n’est pas chose aisée. Habituellement, une histoire de ce genre se lit assez vite, mais force est de constater que le côté contemplatif et descriptif de la narration – certes utile – pousse parfois le lecteur à fragmenter sa lecture, las de passages quelque peu assommants.

Qu’à cela ne tienne, Rêve de Fevre demeure un excellent roman fantastique, à la fois ludique et instructif. Un beau cadeau à mettre sous le sapin à Noël (mais sans ail).

A propos Matthieu Matthys 919 Articles
Directeur de publication - responsable cinéma et littérature du Suricate Magazine.