Le Moche : la dégradation par l’embellissement.

© Gael Maleux

De Marius Von Mayenburg, mise en scène de Valérie Lemaître et Michelangelo Marchese, avec Arnaud Botman, Valérie Lemaître, Michelangelo Marchese, Othmane Moumen. Du 8 novembre au 31 décembre 2023 au Theatre Le Public.

Être moche, c’est rarement une chance, rarement un but à atteindre. Être moche c’est comme ça, c’est dommage, mais c’est comme ça. Pour Lette cependant, c’est un handicap, du moins ça le devient. Si sa laideur ne l’a pas empêché de faire le métier qu’il voulait, si elle ne l’a pas empêché de se marier, si bien qu’il semble ne s’être jamais rendu compte de son extrême disgrâce, elle devient pourtant, par un jour comme un autre, un frein dans sa vie. En effet, le but d’une conférence étant de vendre un produit et l’abominable faciès de Lette écartant toute possibilité de vente, ce dernier est mis de côté pour la présentation de SON invention, au profit de son assistant. Ne voulant pas vivre éternellement dans la peau du moche ultime, Lette se fait refaire le visage, mais l’opération est une telle réussite que, très vite, tout le monde veut la même figure que lui si bien que l’ensemble de la société masculine devient une reproduction exacte de notre protagoniste.

Écrite il y a quinze ans, le thème de la pièce est toujours autant d’actualité, et le restera encore longtemps. Tant que la philosophie sera celle qui guide actuellement le monde, tant que la religion restera le néo-libéralisme alors argent et beauté seront toujours les buts recherchés dans un cercle vertueux presque infini où l’un entraîne l’autre. Et si l’opération peut se comprendre pour Lette en raison d’une immense laideur, elle l’est moins pour tous les autres, pour tous ceux qui vont suivre et n’espérant que le succès trouvé par notre patient 0. Pourtant cette quête semble largement remise en question par Lette. Oui, l’opération lui a permis de faire la conférence dont il était privé jusque-là. Oui, en plus il devient un sex-symbol et ne passe plus une nuit seul. Mais au fond de lui, l’ancien moche ne parait pas vraiment accéder au bonheur qui semblait aller de pair avec sa réussite. Pire, lorsqu’il découvre « son » visage sur d’autres, le fragile petit monde qui s’était créé autour de lui semble alors s’écrouler.

Ainsi la pièce aborde avec un regard cynique le sujet du rapport à l’apparence dans son ensemble : l’apparence physique, mais aussi l’apparence publique, celle d’un succès qui se veut total et bénéfique, mais qui n’est en fin de compte, comme le visage du plus bel homme du monde sur l’âme de l’ancien plus laid, qu’un mur, qu’une fabrication prête à s’écrouler au moindre changement de cap de la société.