Late Night, comédie de et dans l’ère du temps

Late Night
de Nisha Ganatra
Comédie
Avec Emma Thompson, Mindy Kaling, John Lithgow, Hugh Dancy, Reid Scott
Sorti le 16 octobre 2019

Présentatrice d’un « late show » autrefois en vogue et maintenant sur le déclin, Katherine Newbury se voit menacer par sa nouvelle patronne de chaîne de se faire tout bonnement retirer son émission pour cause de ringardise. Déterminée à garder sa place, elle entend bien redynamiser l’écriture de ses vannes, notamment en rajeunissant et en féminisant son équipe d’auteurs. C’est ainsi qu’elle engage Molly Patel, une jeune femme d’origine indienne qui n’a aucune expérience notable dans le milieu de la comédie mais qui, au bout du compte, pourrait bien tout bonnement sauver la vie professionnelle de Katherine.

Écrit par l’une des deux comédiennes principales (Mindy Kaling, de la série The Mindy Project), le scénario de Late Night affiche la limpide ambition de s’inscrire pleinement dans l’ère du temps et d’étreindre à bras le corps des problématiques telles que le paternalisme, le féminisme ou encore les quotas, tout en les incluant dans le paysage peu mouvant de la comédie américaine classique, faites de personnages et de situations archétypales voire clichées.

En dehors de son aspect esthétique, sinon rebutant, au moins totalement passe-partout et télévisuel, c’est précisément dans le refus constant du film d’accorder sa soif de nouveauté sur le plan sociétal à une originalité dans la narration – qui ne ferait pourtant pas trop de mal au genre – que le bât blesse. Ce manque d’originalité flagrante dans les situations comiques se ressent d’autant plus lors de scènes abordant de front un sujet sociétal « brûlant ». Ainsi, lorsque le personnage de Molly, interprété par Mindy Kaling, fait son entrée dans le bureau des scénaristes, elle est tout de suite confondue par le parterre exclusivement masculin qui lui fait face avec la nouvelle livreuse de cafés a.k.a. souffre-douleur professionnelle. La stratégie du film pour dénoncer une égalité réelle du traitement des femmes par leurs homologues masculins dans le travail serait donc de grossir le trait jusqu’à rendre la situation complètement irréaliste, dépassée ?

Pas sûr que l’exagération constante qu’emprunte le film sur le plan de la comédie serve entièrement son propos. D’autant plus que, lors de sa dernière partie, le film emprunte une voie étonnamment – mais finalement, est-ce vraiment étonnant ? – conservatrice et moralisatrice. Dans un faux final embarrassant, empreint d’une morale rétrograde et paternaliste, il est question ni plus ni moins d’une femme contrainte de faire des excuses publiques devant des caméras pour expier son terrible péché : avoir trompé son mari. Si l’on pensait que la vague MeToo ou encore la dénonciation du « slut-shaming » avaient au moins servi à faire évoluer les consciences, voici un film qui nous donne la preuve criante du contraire : en 2019, le point d’orgue d’une comédie « féministe » reste l’humiliation publique d’une femme décrite comme libre mais finalement réduite à devoir battre sa coulpe devant une société désespérément puritaine.

In fine, le film semble avoir tout bonnement menti sur la marchandise qu’il propose. Là où l’on nous vendait délibérément une comédie féministe et dans l’ère du temps, réside en réalité une comédie moralisatrice comme il pouvait y en avoir il y a vingt ou trente ans, dans laquelle il était de bon ton de rentrer dans le rang, de s’accorder avec une certaine idée de la « normalité ». Le fond est toujours identique, même si les valeurs semblent avoir changées. Même si l’on prône une féminisation du monde du travail et une plus grande mixité sociale, il est tout de même préférable de rester en accord avec une certaine idée de l’exigence morale et des valeurs de la famille…. C’est en tout cas ce que semble dire Late Night.