Le champ de Bataille, ou le rire comme défense contre le quotidien

De Jérome Collin, adaptation et mise en scène par Denis Laujol, interprété par Thierry Hellin. Du 3 octobre au 15 octobre 2023 au Théâtre de Poche.

Une cuvette en céramique, chasse 3 ou 6L (pour une économie d’eau), fermeture semi-automatique, le confort optimal pour passer des heures à regarder ses pieds ou rêver des voyages qu’il n’a jamais fait. Thierry Hellin incarne le père de famille contemporain de la classe moyenne. Face à l’adolescence de son fils Paul, mais aussi face à sa femme, avec qui il vit depuis plus de 20 ans, on comprend vite que la vie ne lui laisse aucun répit. La routine est un véritable champ de bataille…

Plusieurs troupes ennemies

Adapté du roman de Jérome Collin, Le champ de Bataille, sorti aux éditions Allary en 2018, la pièce de Denis Laujol est une véritable introspection de la vie de famille. Le point de vue honnête de ce père quadragénaire fait inévitablement écho en nous, car de 15 à 40 ans, ce sont toujours les mêmes questions qui nous taraudent. La bataille se joue bien sur des niveaux : bataille contre la famille, contre le couple, contre soi, contre l’école, mais aussi contre le monde tout entier. Si la pièce tente de retracer les grandes lignes de la routine d’un père de famille, elle se place aussi aux centres des catastrophes qui ont bousculé notre quotidien quelques années plus tôt. Attentats de Paris ou de Bruxelles, le sujet de la violence est étudié sur plusieurs niveaux. Ce thème, qui a motivé l’écriture du livre de Jérome Collin, nous claque à la figure avec la mise en scène et les effets spéciaux surprenants qui viennent perturber la tranquillité de la pièce vers la fin de celle-ci. En effet, Thierry Hellin, assis sur son trône, nous emporte avec sa voix forte et claire, et l’humour s’occupe bien de décomplexer la réalité peu flamboyante de sa vie, mais aussi des faits divers dont nous gardons tous un triste souvenir.

  • Il va falloir grandir mon vieux !
  • Ah oui ? Pourquoi ? Pour te ressembler ? Je veux pas te ressembler ! Je veux pas me retrouver à faire la vaisselle tous les jours, à avoir une petite bagnole et une petite maison. Je veux pas partir en vacances à la Mer du Nord. Vous avez une vie de merde et en plus, vous êtes vieux. Vous êtes dépassés. Vous voulez que je vous dise ? Vous êtes un couple de merde, vous avez des vies de merde, vous êtes pauvres, vous navez pas damis, je veux pas devenir comme vous. Votre vie de merde, jen veux pas ! Regarde-toi ! Tu t’écrases devant tout. Tu t’écrases devant ton patron, devant Mamie, devant Maman ! Tu t’écrases tout le temps.
  • Je m’écrase parce que jai des responsabilités, mon vieux. Devant mon patron, cest pour être sûr que tu aies à bouffer tous les jours. Devant Mamie, cest par pur respect pour elle.
  • Et devant Maman ? 

Contagieux ou familier ?

Globalement, si nous rions tant, ce n’est pas seulement de la situation presque ridicule (au premier sens du terme) de faire face à un homme aux toilettes, c’est surtout pour le condensé de stéréotypes que la pièce comporte. Il y a au final très peu d’éléments neufs dans le script, l’histoire personnelle du père est touchante mais elle est fondue dans un amas de clichés assumés qui nous parlent. Et ce, jusque dans la mise en scène contagieuse : le public se retrouve rapidement à sursauter au moindre claquement de porte provoqué par l’adolescent, tout comme le comédien. Dans la plus grande des simplicités, la pièce soulève chez le spectateur des lieux communs de leur quotidien, mais si on cherche un peu, on retrouve aussi toute la complexité d’un Shakespeare. Il y a un discours questionnant le to be, or not to be, ou encore Roméo et Juliette qui fait de cette pièce un très beau moment.

C’est donc le théâtre comme on l’aime, et avec raison ! Le spectacle a été nommé aux Prix Maeterlinck de la Critique 2020 dans la catégorie « Meilleur Seul en scène », Thierry Hellin a été couronné du premier prix d’art dramatique en 1991 au conservatoire de Bruxelles et du Prix du meilleur acteur par le Prix de la Critique 2014/2015 pour son rôle dans Passions humaines de Guy Cassiers. Sans oublier que si Denis Laujol est un habitué de la programmation du Poche (Pas Pleurer, daprès Lydie Salvayre (2017), Fritland, daprès Zenel Laci (2019), Je ne haïrai pas daprès Izzeldine Abuelaish (2021) et bientôt Samouraï en mars 2024), c’est pour notre plus grand plaisir.

Alors malgré les drames, malgré la vie, malgré les rêves envolés, rire est un remède universel, n’hésitez plus si vous n’avez pas encore eu la chance de participer à ce champ de bataille.

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