Les yeux rouges : un portrait du harcèlement

Ecrit par Myriam Leroy et mis en scène par Véronique Dumont, avec Isabelle Defossé et Vincent Lecuyer. Du 12 au 30 octobre 2021 au Théâtre de Poche.

Dans notre société où les notions de bien, de mal et d’éthique s’entremêlent, différents sujets posent encore question et ne font toujours pas l’unanimité. Parmi eux, c’est le harcèlement que le théâtre de poche a décidé d’aborder à travers son projet H. Un sujet fort qui ne laisse personne indifférent. Le harcèlement a cours dans la rue, à l’école, au travail, dans les lieux publics… et avec l’avènement de la technologie, c’est également sur internet que nous le retrouvons aujourd’hui. Mais comment définir le harcèlement ? A partir de quand peut-on dire que le harceleur est un harceleur et le harcelé un harcelé ? C’est cela que la pièce Les yeux rouges décortique devant nous aujourd’hui, pour dénoncer tant le harcèlement que le regard de la société sur ce dernier. Adaptée du roman de Myriam Leroy, cette pièce nous embarque dans la pensée de deux personnages opposés qui pourtant, se confondent étrangement.

Au centre d’une scène faiblement éclairée : une table, un tabouret. Sur les côtés, du matériel sommeille dans l’ombre. Dans un coin, un micro. La pièce est sobre, mais le thème à lui tout seul compense cette sobriété par sa densité. Pas d’extravagance dans le décor, pas d’extravagance dans les costumes, ce n’est pas nécessaire. De ci, de là, des musiques et des variations éclairage viennent soutenir la parole des acteurs. Dans cette pièce où le quatrième mur est mis à rude épreuve, c’est le non-verbal qu’il nous faut écouter. Ce sont les gestes, sourires ironiques ou regard dérangé, ce sont les tons, aux frontières du rire, du plaisir et de la peur, ce sont les silences, que nous devons entendre.

Les yeux rouges nous parle d’un échange de messages et de ses conséquences. Isabelle Defossé est une journaliste médiatisée. Vincent Lecuyer est en premier lieu Denis, un fan passionné, mais il incarne également plusieurs personnages secondaires. Si quelques bafouillements de ce dernier sont à relever, le majestueux rattrapage final qui se confondrait presque avec son jeu d’acteur est à applaudir : il est indéniable que certains mots sont irrémédiablement difficiles à prononcer. Elle est la première à faire son entrée sur scène, et elle nous raconte. Elle nous raconte le premier message, puis le second. Toujours avec une certaine distance mais toujours en nous faisant vivre avec elle, en même temps qu’elle nous raconte, les pensées qui la traversent. Puis le voilà qui arrive à ses côtés, jouant Denis et ses pensées de la même manière. Si les discours se confondent ingénieusement, amenant parfois le spectateur à se demander qui a véritablement prononcé ces paroles, les acteurs quant à eux ne laissent pas place au doute : ils vivent réellement leur personnage. Au fur et à mesure de l’histoire qui avance, des messages qui affluent, il se rapproche. Il arrive à en faire rire certains avec ses mimiques et ses mots d’humour, mais au milieu des rires, certains se sentirons peut-être mal à l’aise en l’observant, elle et ses réactions. Petit à petit, le portrait du harceleur se dessine. Les messages s’enchaînent et par dépit, par jalousie ou par ego, ils se font de plus en plus secs, de plus en plus cassants, de plus en plus blessants et culpabilisants. Quant à elle, son personnage se délite, il s’affaisse, et sous les émotions trop fortes, trop dures, c’est à travers la rougeur de ses yeux gonflés que le mal-être se manifeste. Internet se déchaîne. Une tornade est minimisée en coup de vent tandis qu’une vaguelette se transforme en tsunami. Et finalement, est-ce que ce ne serait pas elle qui l’aurait cherché ? Est-ce qu’elle n’aurait pas fait quelque chose pour le mettre en colère ? Est-ce qu’elle ne serait pas la seule et l’unique responsable de toute cette histoire ? Ces yeux rouges ne cacheraient-ils finalement pas un mauvais fond ? C’est en procès, là où la parole n’est donnée qu’à ceux à qui on souhaite la donner, que les réponses à ces questions seront décidées.

Les yeux rouges est une pièce marquante au thème quelquefois dérangeant. Il nous amène à nous remettre en question et à remettre en question notre regard sur nos proches et leurs vécus. Mais c’est aussi une pièce vivante avec un superbe jeu d’acteur qui parvient à nous faire vivre les deux facettes d’une même relation, si tant est que nous puissions nommer cela une « relation ». A travers le dramatisme de cette histoire, permettons-nous de poser un regard neuf sur ce mot lourd de sens : harcèlement. Réfléchissons à nos actes comme à nos ressentis, posons-nous les bonnes questions et surtout, surtout, soyons à l’écoute des gens que nous aimons et de leurs sentiments, quels qu’ils soient, et soyons bienveillants les uns envers les autres.