« Hors gel », avoir peur, tout le temps

Titre : Hors gel
Autrice : Emmanuelle Salasc
Editions : Folio
Date de parution : 7 septembre 2023
Genre : Roman

Lucie vit en montagne. C’est l’année 2056, un gouvernement écolo au pouvoir, des mesures drastiques ont été prises suite aux catastrophes environnementales des années 2020. Mais Lucie vit dans une grange, sur une montagne qui inquiète : une énorme poche d’eau s’apprête à se rompre et envahir la vallée, rappelant la catastrophe qui avait tout détruit sur son passage, une centaine d’années auparavant. Une autre, de catastrophe, intime, débarque au même moment : la sœur jumelle de Lucie, Clémence, disparue depuis 30 ans, revient soudain à la surface.

Roman de la disparition et de l’absence, Hors gel est construit comme un énorme flashback. Longuement, l’autrice va décrire les relations d’amour-haine qui lient les deux sœurs ainsi que le cocon familial qui implosa vite face à la vie de Clémence, pleine de rage et de fugues. Celle-ci n’a jamais trouvé sa place. Dès la naissance, dans ce monde, elle était de trop, une aurait suffi à leur mère. Alors, elle crie, s’époumone pour exister, désobéi très vite, attirée par les extrêmes, la drogue, le sexe, la mort, encore toute jeune. Dormant dans la même chambre, sa sœur, Lucie, doit prendre sur elle, souffrir en silence, les parents ayant démissionné face à cet enfant ingérable.

Si la relation entre les sœurs est remarquablement décrite, d’une grande complexité, les deux étant marquées différemment par l’abandon, le roman n’avance jamais, ne se déploie pas, ou uniquement dans le passé. D’une longueur de presque 500 pages, l’autrice nuance la situation, mais sans éviter les répétitions. Le mot « peur » apparaît une bonne centaine de fois, au moins, Lucie étant angoissée par ces catastrophes qui lui tombent au visage : est-ce un moyen littéraire souhaité ou non par l’auteur, une manière d’instiller un sentiment d’inquiétude tout du long ? En tout cas, cela lasse. Et ce sentiment bouffe tout le présent de l’écriture, la vie quotidienne de Lucie dont on ne sait pas grand-chose, dont on aurait aimé mieux comprendre les épanchements.

Emmanuelle Salasc aime aussi beaucoup lister. Son écriture est ainsi une suite interminable de mots qui ne font pas avancer l’intrigue ou la construction psychologique des personnages, comme si elle tentait d’épuiser les champs du possible (exemple, pour lister les matériaux dont sont construits les maisons en 2056, on a droit à toutes les matières possibles, et des phrases à virgule qui n’en finissent pas). C’est épuisant, car le même roman sans toutes ces longueurs aurait gagné en force.

Hors gel est donc intéressant pour la description de cette relation toxique que Clémence impose à sa famille. Le contexte écologique des années 2056 est décrit de manière distancée, dans un vocabulaire assez technique (avec des listes), mêlant les époques, la vieille catastrophe avec sa coulée de lave, celles des années 2020, les années contemporaines de la vie des protagonistes. On s’y perd, mais le sentiment d’inquiétude et de peur, justement, inévitable, est bien présent. Ce n’est pas réjouissant d’être en 2056, chez Emmanuelle Salasc, encore moins si vous vous appelez Lucie, et que votre sœur jumelle que vous aimeriez haïr revient sans crier gare.