Je ne haïrai pas, comme un poignard en plein cœur

© Véronique Vercheval

De Izzeldin Abuelaish. Mise en scène de Denis Laujol. Avec Deborah Rouach. Du 5 octobre au 22 octobre 2022 au Théâtre de Poche.

Izzeldin Abuelaish est né à Gaza, il est le premier médecin gynécologue obstétricien palestinien à exercer en Israël. Le 16 septembre 2009, son cri de douleur est diffusé à la télévision israélienne. Il venait alors de perdre ses trois filles et sa nièce dans le bombardement de sa maison lors de l’opération Plomb Durci. Je ne haïrai pas raconte son histoire… mais aussi celle de tous ces sans-visages qui sont morts injustement par la folie des hommes.

Il y a des œuvres qu’il est nécessaire de percoler. Face à une trop grande intensité émotionnelle, les mots semblent bien futiles. Que dire de cette pièce mis en scène par Denis Laujol et interprétée par Déborah Rouach ? Nous allons tenter une mise en abîme réaliste de son pouvoir symbolique.

Il s’appelle Izzeldin Abuelaish

Cette histoire a tout d’abord été écrite dans un livre autobiographique. L’auteur est Izzeldin Abuelaish, il est un des spécialistes mondiaux de l’infertilité. Il donne la vie dans un hôpital en Israël. Il y fait le récit de son enfance, de la pauvreté et de la misère. Devenu adulte, il raconte l’injustice, les humiliations mais aussi la peur. Il y la perte de sa mère puis la maladie de sa femme. A la suite d’une leucémie foudroyante, elle sombrera dans un coma sans qu’il ait pu être à ses côtés. Retenu de l’autre côté des fameux « check-points » nés de l’absurdité d’un système, dégât collatéral de la haine et de la tyrannie. Et puis il a eu l’opération Plomb Durci. Un tank tire deux obus sur sa maison familiale. Trois de ses filles meurent, sa nièce Noor y perd également la vie. Blessant presque mortellement une quatrième de ses filles. Comme le dit si justement la comédienne sur scène à plusieurs reprises « Et alors, il est où le suspense ? » C’est ce que vous vous demandez probablement en lisant ceci. Il n’y en a pas effectivement. Nous savons tous comment l’histoire fini.

Elles s’appelaient Nadia, Bessan, Mayar, Aya et Noor

Sur scène, il y a un parti pris. Celui d’interpréter les mots d’Izzeldin à travers les voix des femmes de sa vie, celles qui lui ont été arrachées. Déborah Rouach incarne brillamment tour à tour ces fantômes. La scénographie est évanescente presque mystique comme si elles avaient ressuscité le temps d’un spectacle. L’histoire d’Izzeldin est régulièrement suspendu par des prises de position de la comédienne. Nous passons du récit à une confession ou à un coup de gueule. On souligne l’intelligence derrière la mise en scène qui nous donne des respirations mais surtout qui joue un rôle fondamental d’objecteur de conscience. C’est une pièce brute d’émotions qui frappent parfois brutalement, nous menant jusqu’au bord des larmes à plusieurs reprises. C’est un hommage respectueux à Nadia, Bessan, Mayar, Aya et Noor et à travers elles, à tous ces autres morts prématurés, victimes et martyrs d’un conflit inégal.

Izzeldin, malgré la tragédie qui l’a frappé, n’a pas choisi la voie de la haine. Au contraire, il pense que le pardon, l’éducation, la foi, la tolérance, le refus de faire des amalgames est la solution. La pièce est prolongée par un bord de scène en sa présence jusqu’au 13 octobre. Nous ne pouvons que vous inviter à aller à sa rencontre. La sagesse et la résilience qui émanent de lui vous interpellera, vous interrogera, vous frappera en plein cœur. Vous ferez là-bas une rencontre que vous n’oublierez pas de sitôt.