« Le Bleu du Caftan », sensualité bleu pétrole à Salé

Le Bleu du Caftan
de Maryam Touzani
Drame, Romance
Avec Lubna Azabal, Saleh Bakri, Ayoub Missioui
Présenté en ouverture du Festival Cinemamed 2022 et sortie en salles prévue le 29 mars 2023

À Salé, dans la Medina, se tient la boutique de deux artisans. Halim et Mina, soudés dans le mariage et dans le travail, préservent avec passion les rouages d’un métier qui tend à se perdre : la confection de caftans, tuniques traditionnelles portées avant tout au Moyen-Orient. À leur quotidien en apparence paisible viennent s’interposer deux intrus : un nouvel apprenti à la beauté juvénile et la résurgence du cancer de Mina.

Le bleu pétrole et non le bleu roi comme le fait remarquer l’intransigeant Halim – prix d’interprète pour Saleh Bakri – fait rêver les femmes, les futures mariées, les futures défuntes et celles au mari influent. Il est le sceau d’une noblesse esthétique et artisane. On voit directement que le maître du tissu est peu tenté par la corruption, ni cupidité ni vice ne sont en lui décelables, simplement l’attention qu’il voue à son métier, à sa femme et aux corps des hommes. Ce dernier penchant, il le dissimule avec inquiétude, l’optique de salir son mariage lui est douloureux, mais c’est plus fort que lui. Sa pureté reste pourtant son principal attribut, pureté qu’il préserve dans la brume de l’Hammâm avec la pudeur de l’ablution. C’est également avec cette retenue élégante qu’il évoque la mort, la maladie et qu’il se plie aux pulsions charnelles de sa femme, bien qu’elles ne soient pas réciproques. Les plans sont serrés se concentrant sur les visages, la matière, les aliments et posent un filtre sensuel sur les éléments routiniers. La médina de Salé n’est que peu explorée pour laisser briller le cocon chaleureux que construisent les protagonistes.

La femme d’Halim, Mina – interprétée par Lubna Azabal – n’est pas avare en remarque cinglante pour remettre à sa place la petite bourgeoisie marocaine qui s’offusque des délais que demande l’art manuel. Elle, contrairement à son époux, ne résiste pas à ses pulsions, elle fume, crie pendant les matchs, rappelle à l’ordre Youssef et se montre entreprenante dans le lit conjugal. Mina ne peut retenir sa jalousie, elle l’exprime à travers sa place de patronne qui lui permet de réprimander l’apprenti, de ne pas le laisser dévoiler des pans de chair aux yeux coupables de son compagnon. Elle le surveille, austère un temps, puis vient une mue lumineuse, celle que la perspective d’une mort proche peut apporter. Dans une deuxième partie du film, seul compte le bonheur de son époux, son épanouissement qu’il soit avec elle ou un.e autre ; le nouveau regard qu’elle pose sur la situation sublime ses dernières heures. Cet autre, elle est finalement apaisée à l’idée que ce soit Youssef, doux, attentionné, il a soif d’apprendre, aussi, c’est avec sérieux qu’il observe son maître. Les drapées, qu’il dompte avec ses mains, sont les supports des désirs que le Maleem éveille en lui. Il ne s’agit pas de sexualité pure, comme elle existe lors des rencontres interdites aux bains, mais bien de dévotion amoureuse.

Les yeux des personnages sont profonds, tristes, inquiets et durs parfois, cette gravité reflète leurs intimes secrets et s’accorde à la délicatesse unique du tissu, car fait à la main et non à la machine. Les tentations sont, au début, destructrices, mais elles se font peu à peu salvatrices : la complicité efface la notion de trahison. Les ornements du caftan sont le motif rituel des scènes, la tension tactile douce et sensuelle qu’ils instaurent rejoint celle qui anime les protagonistes. C’est avec une infinie douceur que la caméra de Maryam Touzani caresse ses personnages et leur environnement. Comme protégés du monde extérieur, ce n’est que des pans de réalité du dehors que laisse entrevoir la caméra pour se concentrer sur le trio. Pas d’harangue sur les liens du mariage plus fort que la mort ; l’écueil de cette union est neutralisé pour dessiner les contours d’une relation maritale ne reposant pas uniquement sur l’attirance sexuelle. La pureté du film est à lire autant dans les rapports humains que dans l’esthétique symbolisé par la stèle textile du caftan bleu.