« La nation en récit », un livre très studieux qui plaira à un public universitaire

Titre : La nation en récit
Auteur : Sébastien Ledoux
Editions : Belin
Date de parution : 12 mai 2021
Genre : Essai

Dans cet essai, le chercheur en histoire contemporaine Sébastien Ledoux tente de répondre à cette question : comment s’écrit l’histoire de France ? Suite au débat lancé par Nicolas Sarkozy au début de son quinquennat, la question du récit national, liée intimement à l’identité nationale, taraude la société française en profondeur. L’auteur se penche plus particulièrement sur les cinquante dernières années et analyse l’impact du métissage de la société et des mémoires concurrentes sur la construction (ou évolution) du récit national. L’interrogation sur notre mémoire collective amène à réfléchir sur la sélection des évènements passés pour en tirer un récit, voire un sens ou une morale.

La nation est une construction éminemment politique et reste un cadre de référence déterminant. La production du récit national vise à nourrir la création d’une communauté d’appartenance et de destin et ainsi à faire vivre et perpétuer la nation. L’auteur interroge ici le rôle des historiens et des tensions qui traversent leurs travaux, aussi au vu de ce qui est sélectionné dans les manuels scolaires, qui ont longtemps servi à la gloire et la grandeur de la France. L’école républicaine a longtemps porté sans nuance un récit national progressiste, universaliste et civilisationnel apportant le progrès au genre humain. Ainsi sous la IIIème République, l’écart entre les principes républicains de liberté-égalité-fraternité et la situation coloniale fondée sur l’inégalité de statut entre citoyens français colons et sujets colonisés fut solutionné par une fiction narrative : la conquête coloniale opérée par la France se veut une conquête de libération des peuples, en leur apportant la civilisation.

Un récit national progressiste, universaliste et civilisationnel

La décolonisation marque une rupture franche avec le récit universaliste et délégitime l’intrigue narrative portant sur l’œuvre civilisatrice à l’égard des colonisés. La guerre d’Algérie et la décolonisation vont signer un coup d’arrêt brutal à cette trame narrative. Le récit national français va alors se défaire de l’idée d’une expansion territoriale de la France pour amener le progrès et la liberté au plus grand nombre. De Gaulle va apporter de nouvelles intrigues narratives, qui perdurent aujourd’hui : l’indépendance (actualisée par le Président Macron sous le vocable souveraineté) de la France (notamment autour de sa puissance nucléaire) et le projet supranational européen.

A partir des années 90, la France a collectivement regardé les parts d’ombres sur son histoire. L’auteur met l’accent sur trois étapes clés de la construction de tournant narratif et du devoir de mémoire en France entre 1990 et 2007 : la commémoration du Vel d’Hiv, la traite et l’esclavage, et les mémoires concurrentes de la guerre d’Algérie. Qualifié par certains de « repentance », ce devoir de mémoire autour d’un « passé criminel » est censé constituer une réparation symbolique des victimes et permettre la conjuration du retour de violences. Sur l’esclavage, Stéphane Ledoux note que le tournant narratif entraîne des dettes nouvelles : la dette officielle n’est plus envers ceux qui ont œuvré à son abolition (Schœlcher) mais envers ceux qui ont été victimes de crimes et dont il faut se souvenir pour assurer la prévention du racisme et le « vivre ensemble » d’une communauté nationale pensée dans sa pluralité.

L’auteur met également en avant la soif pour une histoire plus personnelle qui se fait jour depuis les années 70, avec un appétit croissant pour une histoire plus locale et une identité narrative individuelle. Au-delà des Grands de l’histoire, les historiens notent l’attrait pour une histoire des territoires, par laquelle les Français découvrent leurs racines et ont accès à la façon dont leurs ancêtres ont changé leur manière de vivre.

Quel récit national pour Macron, Chirac, Mitterrand ?

Ce qui fait le sel du livre est sans doute l’analyse du positionnement des Présidents français dans la construction narrative de l’histoire de France depuis 1990. Pour l’auteur, Mitterrand avait à cœur de retisser la mémoire de gauche et d’édifier une mémoire européenne, Chirac de dévoiler un passé lesté de ses crimes occultes, Sarkozy de puiser dans les gloires passées la source d’une fierté nationale retrouvée alors qu’Hollande a cherché à mettre en équilibre les victimes et les héros de l’histoire dans une démarche inclusive. Quid de Macron ? Et bien l’auteur lui prête une volonté d’utiliser l’imaginaire historique monarchique/impérial comme ressource de pouvoir, « en se mettant en scène lui-même comme présence qui incarne la nation ». Il relève qu’au soir de son élection, il choisit le Louvre, lieu du pouvoir royal et napoléonien pour s’adresser aux Français. Pour Stéphane Ledoux, la trame narrative conçue par le Président Macron se structure également autour de références à l’histoire millénaire de la France (par opposition a une histoire qui commencerait en 1789), au recours à la figure héroïque et à la culture de guerre.

Vers une narration des biens communs ?

Pour finir, Stéphane Ledoux appelle à construire l’histoire de France sur les biens communs et la chose publique afin d’ouvrir le passé national sur une narration émancipatrice permettant l’inclusion de tous et non d’un récit victimaire, populiste ou néo-libéral. Il appelle aussi de ses vœux à mieux prendre en compte l’environnement dans la narration historique. La question de la mixité française et les effets de l’immigration sur le récit national traverse cet essai et donne lieu à de nombreux constats sur la concurrence narrative et identitaire. On aurait aimé que l’auteur approfondisse sa vision pour y proposer des pistes au-delà du caractère inaccompli de la république. La nation en récit est donc un livre très studieux, qui plaira à un public universitaire ou féru d’histoire et de sciences politiques. On lui reprochera quelques longueurs et une architecture un brin décousue. Quoiqu’il en soit, cela reste une lecture utile pour éclairer des enjeux contemporains.