“Widowland”, ou le pays qui n’aimait pas les femmes

Titre : Widowland
Autrice : C.J. Carey
Date de parution : 15 juin 2023
Genre : Roman uchronique

La journaliste de formation, C.J. Carey – de son vrai nom Jane Thynne – nous propose un monde magistralement revisité, même s’il n’y a pas de quoi se réjouir. En effet, dans cette uchronie qui se déroule en 1953 au Royaume-Uni, les nazis, jadis victorieux de la Seconde Guerre mondiale, sont désormais au pouvoir et ont des émissaires à Londres. Et pour couronner le tout, ce sont des gros misogynes ! On vous explique : dès l’adolescence, les femmes sont classées selon leur degré de fécondité, leur patrimoine et leurs caractéristiques raciales, qui donnaient bien sûr l’avantage aux sosies de Barbie plutôt qu’à celles de Mafalda. Et comme les nazis pensent décidément à tout, cette catégorisation attribue également aux femmes leur lieu de résidence, la qualité de leurs vêtements ou même le nombre de calories qu’elles peuvent ingérer. Ils sont quand même balèzes !

Quand à celles qui se retrouvent au bas du classement, à savoir les veuves, les vielles filles et les femmes infertiles, elles sont expédiées dans des sortes de ghettos, appelés Widowland, où elles crèvent de faim et vivent dans la plus grande indigence.

Et dans ce monde qui part complètement en sucette, il y a Rose. Rose est une privilégiée qui se trouve au sommet de la pyramide de cette fameuse classification. Fonctionnaire, son boulot consiste à réécrire les romans considérés subversifs par le régime. Ceux qui peuvent être retouchés survivent. Par contre, ceux qui vont trop loin finissent au barbecue. Le festival des autodafés est de retour et on crame tout, en premier les livres jugés trop féministes ou prônant l’émancipation féminine. Mais les feux de joie touchent également les écrits faisant l’apologie de l’homosexualité ou ceux rédigés par des auteurs juifs, catholiques ou communistes. Bye bye Virginia Woolf, Aldous Huxley, Vera Brittain, Emily Brontë et bien d’autres… Ces wokistes des fifties révisent également les listes des lectures scolaires, mais aussi le cinéma et la publicité pour être sûrs de ratisser bien large. Quant à la liberté de penser, ça n’est plus qu’un concept désuet qu’il vaut mieux abandonner au plus vite pour ne pas voir sa tête empalée sur une pique.

Pour tout cet univers abominable et pensé jusque dans les moindres détails, on dit bravo. On souligne également la grande connaissance littéraire de l’autrice qui fournit quantité de références d’ouvrages que nous avons la chance de pouvoir lire en toute liberté, nous, lecteurs.

Cependant, quelques longueurs et un cruel manque d’action se font ressentir tout au long de la lecture. L’enquête que doit mener Rose dans les Widowland pour le compte des autorités n’est qu’anecdotique et on regrette d’en savoir si peu sur ces femmes que l’on tente par tous les moyens de réduire au silence. Aussi, même si cette brave Rose fait ce qu’elle peut, on aurait préféré une héroïne un peu moins mollassonne ou du moins un chouïa plus audacieuse (bien qu’elle se rattrapera largement à un moment donné).

Bref, une intrigue peu fouillée, mais un exercice d’imagination incroyable qui fait froid dans le dos.