« L’île au bonheur », hommes, atomes et cécité volontaire

Titre : L’île au bonheur
Auteur : Harry Bernas
Editions : Le Pommier
Date de parution : 24 août 2022
Genre : Essai, histoire

Alors que plusieurs gouvernements en Europe et dans le monde ont décidé, sous couvert d’indépendance énergétique de construire de nouveaux réacteurs nucléaires, il est utile, en suivant les réflexions du physicien Harry Bernas, ancien directeur de laboratoire au CNRS, dans son ouvrage L’île au bonheur, de se pencher sur la genèse de cette filière et comprendre en quoi les décideurs politiques et certains scientifiques n’ont pas toujours été honnêtes envers leurs concitoyens face au danger et aux risques inhérents à l’utilisation pacifique de l’atome.

Une science très militaire

Si l’on veut en effet nous convaincre que la science nucléaire est principalement pacifique, les faits historiques tendent à révoquer cette affirmation. Harry Bernas le sait bien, lui qui, enfant en 1945, a été informé par la radio du bombardement qui a rasé la ville d’Hiroshima, et a embrassé quelques années plus tard une carrière de physicien. De ses propres yeux, il a vu et a profité de l’essor des facultés de physique au sein des universités et a assisté indirectement au développement d’un grand nombre de technologies grâce aux fonds du ministère de la défense. Abasourdi par la catastrophe de Fukushima, il a réalisé à quel point nous nous étions laissé aveugler par les promesses de cette technologie et a décidé dans ce passionnant ouvrage d’en retracer la chronologie.

Technologie duale

Des balbutiements théoriques de la fin des années 30 à la mise en pratique dans une application militaire dans les années 40, des rêves du tout nucléaire des années 50 à la construction des premières centrales, l’auteur nous emmène dans un voyage scientifique mais surtout politique où les questions stratégiques ont toujours pris le dessus sur toutes autres considérations. Un périple dans lequel les impératifs militaires, quoiqu’on en dise, se sont dès le départ immiscés, mettant à mal l’éthique de certains scientifiques et la finalité même de la discipline.

L’île au bonheur nous emmène donc à nous interroger sur notre rapport à la science et à la technologie et à abandonner quelques illusions sur la mal-nommée Tour d’ivoire dans laquelle le public a l’impression que sont cantonnés les scientifiques. A l’heure où une nouvelle politique énergétique se dessine pour l’Europe, c’est assurément un excellent choix de lecture pour ceux qui veulent décider en toute indépendance.