Bleu à la lumière du jour, un album aussi clair que la nuit

Dessin & scénario : Borja Gonzalez
Edition : Dargaud
Sortie : 18 août 2023
Genre : Roman graphique

Par une nuit ténébreuse comme le cœur d’une forêt, étendue de bleu marine que seule vient perturber une inquiétante tache rouge, une nymphe désorientée cherche le chemin de la sortie. Sur les conseils d’un oiseau, elle se laisse engloutir par les eaux lourdes du marais et en ressort non pas, comme on aurait pu le croire, téléportée mais transformée. À ce stade, si vous n’êtes pas sûrs d’avoir tout compris, c’est normal. Nous non plus. C’est nébuleux. On se noie dans un océan opaque de bleu et de noir qui nous empêche d’anticiper ce dans quoi on s’engage.

Et ça ne va pas en s’arrangeant. C’est une version d’elle-même apathique qui reprend la route du danger qu’elle essayait de fuir, droit vers le château où les maîtresses fâchent déjà son absence.  Mais noyée sous un torrent de reproches, la belle garde son calme. Elle ne pipe pas mot. À la place, ce sont des plumes qui sortent de sa bouche, du même bleu cobalt que celles de l’oiseau émissaire. Pourtant, son flegme ne s’accorde pas du tout à l’horreur du sacrifice qui la menace. Que lui veulent ces femmes, sorcières et matriarches du domaine, qui ne semblent pas du tout s’inquiéter de l’absence des hommes partis chasser ?

Conte énigmatique

Borja Gonzalez signe un conte énigmatique dans lequel on avance par suppositions. Et c’est comme si ses personnages sans visage étaient de mèche. Des femmes à la longue chevelure tombante, drapée du même voile, dialoguent sans qu’on ne puisse les reconnaître. Et puis des postures se dessinent. On apprend petit à petit à décoder leur langage corporel. Ne compter que sur le mouvement pour exprimer l’expressivité est un pari risqué. Mais l’auteur espagnol n’en est pas à sa première expérience ; dans tous ses albums, il donne naissance à des créatures sans regard.

En quelques titres, dont certains disponibles en français comme Black Holes et Nuit couleur larme, Borja Gonzalez s’est déjà construit un univers fantomatique avec ses personnages bien sûr, mais aussi une prédominance de noir et un amour indéniable pour les arbres et même plus particulièrement les forêts. Partout, des racines se tordent et s’enroulent. À l’avantage du récit, cette fois. Comme l’avait déjà fait Hubert et Zanzim dans leur Peau d’homme, le décor cadre l’image comme pour lui un côté moyenâgeux, époque à laquelle on peut supposer que se déroule le récit. Bleu à la lumière du jour exploite d’ailleurs aussi le caractère fabuleux du monde médiéval. Mais c’est un imaginaire de sang et de crasse dans lequel il nous précipite.