« Adieu Sauvage », ou la fin d’une utopie romantique

Adieu Sauvage
de Sergio Guataquira Sarmiento
Documentaire
Sortie le 1er novembre 2023

Dans son documentaire Adieu Sauvage, Sergio Guataquira Sarmiento part à la rencontre d’une communauté autochtone d’Amazonie, les Cácuas, et tente de comprendre pourquoi on se meurt d’amour dans cette communauté qui n’a pourtant aucun mot pour désigner le sentiment amoureux.

Dès le début du film, le spectateur est invité à prendre part au voyage, tant identitaire qu’ethnologique, du réalisateur. En effet, on suit son arrivée dans une petite ville de Colombie avant de prendre une pirogue en direction de la jungle, à la rencontre d’une communauté autochtone. Dans le même temps, Sergio Guataquira Sarmiento, lui-même descendant d’un peuple indigène colombien, se présente à nous en nous racontant son indianité.

Durant son séjour chez les Cácuas, il tentera de vivre au rythme des hommes d’abord, puis des femmes, avant de se rendre compte qu’il est davantage un fardeau qu’une véritable aide et que lui, l’homme pourtant occidentalisé, n’a rien à leur apprendre. Il décide alors d’accompagner Laureano, le seul avec qui il est en mesure de communiquer et avec qui il se liera d’amitié. A travers leurs dialogues, on découvre un peuple en perte de vitesse, coincé entre ses racines et le monde moderne aux yeux duquel il n’existe pas ou peu. Mais surtout, on découvre un peuple emprunt d’une profonde tristesse à force de ne pas faire exister ses émotions au travers des mots.

Pour son premier long-métrage documentaire, le réalisateur et protagoniste, Sergio Guataquira Sarmiento, fait preuve d’une humilité plutôt touchante. Il ne force jamais son sujet et, conscient de ses propres limites d’expertise, de langage et de temps, il se laisse guider par son instinct, à la découverte de la vie affective des membres de la communauté. Cette spontanéité dans la posture donne lieu à des récits envoutants de plusieurs légendes, coutumes et croyances, contés par son ami Laureano. On retiendra, entres autres, celle, représentée sur l’affiche du film, d’une femme métamorphosée en papillon qui vient se poser sur la peau de celui qu’elle aime.

Tout au long du documentaire, filmé avec une pellicule en noir et blanc, on se retrouve plongé dans une atmosphère romantique, caractérisée par l’omniprésence d’une nature luxuriante et divine et par l’exaltation d’une nostalgie planante et d’une tristesse muette. L’œil avisé ne manquera d’ailleurs pas de remarquer la référence au célèbre tableau de Friedrich, transposé cette fois à la jungle amazonienne.

Pour ce qui est de la vie affective des Cácuas, si Sergio Guataquira laisse penser que leur affliction palpable est dû au manque des mots pour exprimer le sentiment d’amour, il est légitime de se demander si ce mal-être ambiant n’est pas aussi dû à un peuple qui n’a jamais su questionner son modèle patriarcal alors même que les mentalités du monde moderne, dont ils ont connaissance, y ont été contraintes. Les témoignages de Laureanno à ce sujet ne manquent d’ailleurs pas, toutefois, les esprits les plus scientifiques d’entre nous regretteront peut-être aussi qu’il soit quasiment l’unique interlocuteur du réalisateur.

Enfin, le documentaire se termine sur les aurevoirs entre Sergio et Laureanno, à qui il pose une dernière question sur sa propre identité avant de terminer par ces mots remplis d’une affection nouvelle, « Adieu, sauvage ».