Quand la cravate se noue à l’extrême droite

La Cravate
de Mathias Théry et Etienne Chaillou
Documentaire
Sorti le 9 septembre 2020 au cinéma Nova et au cinéma Le Parc

La fin, on la connaît. Macron bat Le Pen et la France célèbre une victoire qui sent la peur. En fait, tout nous est familier : les personnages, l’histoire, les motivations… Alors on se demande qu’est-ce qu’un énième film sur l’extrême droite peut bien nous apprendre de plus que les médias ne nous ont pas déjà dit. Seulement, La Cravate n’est pas construit comme n’importe quel reportage d’investigation et c’est sa forme, indissociable de son propos, qui en fait sa valeur.

Lors de la campagne électorale de 2017, Mathias Théry et Etienne Chaillou ont suivi Bastien, militant d’extrême-droite et secrétaire de circonscription à Amiens. En plus des images filmées, ils ont mis par écrit, dans un texte d’inspiration balzacienne, ce que la caméra ne peut montrer et l’ont ensuite fait lire à Bastien. Le film se base donc sur une voix off qui lit le manuscrit et qui accompagne soit des images prises durant l’étude de terrain, soit des images de Bastien réagissant à l’histoire qu’il découvre en même temps que le spectateur. C’est un procédé qui est d’autant plus parlant que les réalisateurs et Bastien n’ont ni les mêmes idéaux politiques, ni les mêmes intérêts dans la production du film – Bastien cherchant à faire valoir des idées que les réalisateurs espéraient réfuter – et pourtant les deux partis arrivent à un consensus, le scénario écrit par les premiers étant validé par chacun. Cette manière de filmer réduit la part de subjectivité qu’on a souvent lorsqu’un chercheur retranscrit ce qu’il a étudié. C’est une approche à la fois convaincante et aussi touchante parce qu’ une vraie relation de confiance se crée entre les observateurs et l’observé.

L’idée de base n’était pas de faire un film de propagande anti-FN (qui depuis a changé de nom) mais plutôt de comprendre ce qui pousse les gens à adhérer à ce parti qu’on n’osait même pas recevoir sur les plateaux TV il y a encore quelques années. D’après Mathias Théry et Etienne Chaillou, pour comprendre un partisan, il faut s’inviter dans son intimité. Bastien est filmé au travail, dans la fédération française de lazertag qu’il a créée ou  buvant une bière avec ses copains. Ensuite, on découvre son visage politique. On le voit distribuer des prospectus à la gloire du parti, débattre calmement avec les détracteurs et s’occuper de la communication Youtube de Philippot. Pour Bastien, son combat est pur et dénué d’intérêt personnel. Et même si paradoxalement son adhésion au mouvement semble être aussi pour lui une quête de respect, une manière d’asseoir son autorité, il n’a pas l’ambition de grimper les échelons. Si Marine est élue, son but premier sera atteint.

En dépit de ses idéaux, c’est une vision presque candide de faire de la politique que possède Bastien. Mais Bastien connaît une vraie déception quand il se rend compte que beaucoup de ses camarades ne sont là que pour s’approcher le plus possible du pouvoir. De manière générale, ce que La Cravate semble révéler du parti, c’est que des personnes bien intégrées dans un système politique et dans un monde dont ils maîtrisent les codes utilisent la colère des marginaux et des oubliés à des fins personnelles, la rhétorique étant l’outil premier de ceux qui – à l’image d’Eric, jeune membre ambitieux et accessoirement ami de Bastien – cherchent à dédiaboliser le parti pour mieux profiter de sa remontée dans les scrutins.