« Tordre la douleur », de la détresse à la souffrance apaisée

Titre : Tordre la douleur
Auteur : André Bucher
Editions : Le mot et le reste
Date de parution : 7 janvier 2021
Genre : Roman

Tordre la douleur est le dixième roman de l’auteur français André Bucher, publié en 2021 aux éditions Le mot et le reste. À travers cette histoire, l’écrivain invite le lecteur dans un voyage empathique à la rencontre des maux qui pèsent le cœur de ses personnages et des relations humaines qui les apaisent.

Endeuillés par la mort brutale de leur fils unique, Bernie et Annie se retrouvent enfermés dans leur douleur. Pour tenter d’en échapper, Annie quitte son mari pour rejoindre sa sœur à Montpellier et commencer une nouvelle vie, laissant Bernie seul avec sa peine. Non loin de là, Sylvain et sa sœur Solange doivent, eux aussi, faire face à la perte d’un être cher lorsque leur mère perd la vie lors d’un tragique accident dans le cadre du mouvement des gilets jaunes. Alors que les frères et sœurs tentent de composer avec la colère et la tristesse qui s’emparent d’eux, Élodie essaye de vivre avec le traumatisme et la culpabilité que lui impose sa responsabilité dans l’accident. Quant à Édith, elle ne peut plus supporter les rapports conflictuels qu’elle entretient avec son compagnon violent, qui a, une fois de plus, levé la main sur elle. Elle décide de partir pour sortir de cette relation toxique, mais où aller ? Le destin l’amène à croiser la route de Bernie et ensuite celle de Sylvain.

Tordre la douleur est un roman relativement court qui plonge le lecteur dans un récit de résilience, où les douleurs des uns se mêlent aux traumatismes des autres pour laisser peu à peu place à l’apaisement. La narration à la troisième personne saute d’une perspective à l’autre pour rendre compte des sentiments de chaque personnage et la façon dont ceux-ci décident d’y faire face. Malgré ces changements de perspective, le lecteur ne se perd pas dans cette narration multiple, qui a le mérite de rester claire.

Le récit se voit cependant compliqué par la plume poétique caractéristique de l’auteur. Si celle-ci présente l’avantage d’offrir des tournures de phrases gracieuses aux amateurs de beaux mots, elle a tendance à rendre la lecture de certains passages laborieuse, ce qui pourrait décourager plus d’un lecteur. Cette tendance est particulièrement apparente dans les descriptions de la nature, qui rappellent l’attachement de l’auteur au monde naturel et sa prédilection pour le genre du nature writing. Les descriptions de la nature hostile en cette période hivernale se présentent comme l’écho de la souffrance des personnages et du processus de guérison qu’ils s’efforcent d’entamer, leur offrant l’espoir d’un calme après la tempête :

« Un soleil d’hiver presque blanc dans la lumière froide fit une timide mais bienheureuse tentative, tissant des guirlandes entre les fûts abîmés dans les travées du sous-bois. Des pans de ciel grimé de peintures de guerre se faufilèrent par les interstices de la canopée, déclenchant l’alarme signifiant la fin des hostilités. Chaque tronc à l’écorce humide la reprenait à son compte et redressant peu à peu sa carapace de tortue, il transmettait le signal à son voisin ».

André Bucher promet dès le titre et le résumé un récit de douleur explorant les thèmes du deuil, du traumatisme et de la résilience, mais il ne tombe pas dans le piège de se livrer à une narration lugubre et suffocante. Même si la souffrance reste le fil conducteur de l’histoire, celle-ci se veut plutôt empathique et se concentre davantage sur l’évolution émotionnelle des personnages vers une douleur apaisée plutôt que sur leur agonie.

Si les différentes histoires du roman se rejoignent par ses thèmes et ses personnages rassemblés par le destin au fil du récit, l’intrigue manque cependant de densité fictionnelle. Le roman se présente comme un parcours émotionnel, une exploration des sentiments, un voyage de guérison. Ainsi, le lecteur en quête d’intrigue pourrait rapidement chercher le suspense et les tensions qui manquent pour pimenter le récit. On regrette également que certains personnages soient légèrement mis de côté par la narration, comme c’est le cas de Solange et d’Élodie, dont les souffrances complexes auraient mérité une plus grande attention de la part de l’auteur. Malgré tout, le roman fait un bon travail dans son exploration de la souffrance, de la cicatrisation et des relations humaines, en montrant comment chacun d’entre eux trouve en l’autre une source d’apaisement :

« Il sentit sa cage thoracique se dilater, ses poumons s’emplir d’air neuf comme si l’étau qui l’oppressait, venait enfin de se desserrer. […] les liens entre les êtres ne se créaient pas tout seul ou par magie, même la souffrance pouvait y contribuer. Il fallait bien que quelqu’un s’expose et se charge des nœuds puis que l’une et l’autre s’entraident afin de relâcher la corde ».