« Saules aveugles, femme endormie », une beauté sans pareille

Saules aveugles, femme endormie
de Pierre Földes
Animation
Sorti le 5 avril 2023

Après Drive My Car qui avait bien roulé le printemps dernier, c’est un nouvel hommage que le cinéma s’apprête à rendre au très célèbre écrivain japonais Haruki Murakami. Mais cette fois, c’est sous forme d’animé qu’il se dessine. Et quand on voit le résultat, on ne se demande pas pourquoi le réalisateur Pierre Földes a choisi une autre voie que ses prédécesseurs Tran Anh Hung (La Ballade de l’impossible), Lee Chang-Dong (Burning), et Ryusuke Hamaguchi (Drive My Car) qui avaient tous opté pour le médium du film ; mais plutôt pourquoi ça n’a pas été fait avant ?

Dans Saules aveugles, femme endormie, trois destins convergent autour d’un même axe ; le souvenir du tremblement de terre de Fukushima en 2011. Un fonctionnaire un peu mou du bulbe, sa femme dépressive et un agent de recouvrement trop gentil portent à eux seuls le poids de six nouvelles, tirées de l’imagination farfelue de l’écrivain, et qui les mènera peut-être à sauver le Japon d’une prochaine catastrophe. C’est d’ailleurs l’un des coups de génie de Pierre Földes ; celui de rassembler dans un récit presque linéaire, plusieurs contes qui existent originellement séparément. Au programme, une grenouille prête à en découdre avec le lombric géant qui habite les égouts, un colis surprise, un vieil homme qui exauce les vœux et bien sûr, une réunion de chats qui rappelle un peu Kafka sur le rivage. Comme toujours, on navigue en eaux troubles, entre la mélancolie routinière et la folie de l’imaginaire.

Mais l’atout du film – et c’est en ça que l’animé est un choix judicieux – est d’avoir su, visuellement, donner forme à un univers qui se veut déjà particulièrement imagé. En jouant sur les flous, les superpositions, le passage du trait vers la couleur directe, l’association du fluo et du pastel, ou encore le travail sur les négatifs, Pierre Földes conçoit le récit de manière protéiforme, changeant au gré des humeurs. Ce n’est pas une direction figée, mais plutôt une expérience graphique complexe, fugace, insaisissable – sans jamais paraître incohérente ou désordonnée. Saules aveugles, femme endormie – récompensé à Annecy – parvient, dans son dessin, à traduire à la fois toute la délicatesse mais aussi toute la fantaisie de l’œuvre source, ce qui devrait ravir les fans de l’auteur.