« Les critiques de Rings of Power viennent de personnes qui ne comprennent pas le message de Tolkien »

De The Orphanage à Rings of Power en passant par The Impossible, A Monster Calls et Jurassic World : Fallen Kingdom, la carrière de réalisateur de Juan Antonio Bayona ne cesse de se développer ces dernières années. Entre projets personnels et grands films hollywoodiens, le réalisateur espagnol est devenu une valeur sûre dans le milieu. Sa présence au BIFFF comme invité d’honneur était donc l’occasion parfaite pour faire le point avec lui sur ses projets mais aussi sa vision du cinéma et sa conception des saga légendaires auxquelles il a participé comme Jurassic World et Le Seigneur des Anneaux.

Le Suricate : Aujourd’hui, le BIFFF a décidé de mettre votre travail à l’honneur. Quel regard portez-vous sur ce type de festival ?

Juan Bayona : J’ai été à des festivals de ce type depuis que je suis enfant. J’ai commencé comme journaliste à 16-17 ans et je voulais juste avoir des tickets gratuits pour aller à ces festivals donc je prétendais que j’étais journaliste (rires) et je me souviens que quand j’ai présenté The Orphanage pour la première fois au festival du film de Sitges, j’ai dédié cette séance à toutes les personnes qui allaient à de telles séances sans payer (rires). Je pense que ces festivals sont très importants pour faire vivre le film de genre. Ils sont une partie très importante de ce que représente le cinéma. The Orphanage n’aurait probablement jamais vu le jour si je n’avais pas rencontré Guillermo Del Toro en tant que petit journaliste et c’est ainsi que nous sommes devenus amis. Trois ou quatre ans après cela, il produisait The Orphanage.

L.S. : Votre cinéma, tout comme les épisodes de série que vous avez dirigés, ont toujours eu un côté proche du conte de fée d’un point de vue narratif. Qu’est-ce qui vous fascine là-dedans ?

J.B. : Je pense que les contes de fée gardent cette façon de se connecter à son audience quand nous sommes enfants. Les contes de fée aident les enfants à comprendre le monde dans lequel ils vivent. Dans un sens c’est très intemporel mais aussi très vrai et j’ai toujours été très attiré par les contes de fée. En particulier quand j’ai réalisé A Monster Calls. Je lisais beaucoup de contes de fée et je m’inspirais de l’intelligence avec laquelle ces histoires se connectaient avec nous toutes et tous. Mais aussi la manière dont ils intégraient la réalité dans laquelle nous vivons.

L.S. : Une thématique est souvent abordée dans vos films c’est celle de l’enfant perdu. Est-ce quelque chose qui vous touche personnellement ?

J.B. : Pas consciemment. J’ai toujours choisi les films que je faisais par mes intuitions. Pour moi, l’intuition est l’outil le plus important d’un réalisateur. Dans ce sens, je ne planifie jamais ce que sera mon prochain film de manière trop minutieuse. C’est aussi dû au fait que quand on choisit son nouveau film, on est toujours influencé par le précédent. Il guide votre esprit d’une certaine façon et fait en sorte que je ne pourrai jamais choisir mon nouveau film sans avoir terminé le précédent.

L.S. : Vous avez récemment travaillé sur la série Rings of Power (il a réalisé les deux premiers épisodes de la série). Comment avez-vous pris les critiques qui ont entouré la série avant sa réalisation et après sa sortie ?

J.B. : Quand la série est sortie, c’était un soulagement pour nous. La controverse était tellement grande et il y avait tellement de gens qui critiquaient la série sans l’avoir vue. Mais la semaine de sa sortie, les retours étaient fantastiques. À chaque fois que tu sors un film, tu te sens vulnérable et nerveux. Tu te demandes ce que les gens vont dire mais dans ce cas-ci, pour Rings of Power, tu dois passer au-dessus car les gens critiquaient la série sans même l’avoir vue. Le point de départ de certaines critiques était l’inclusivité de la série, c’est un point de vue que je ne partage pas car si on connaît l’œuvre de Tolkien, on voit que c’est un auteur qui a mis tellement de races (elfes, nains, humains, hobbits, …) ensembles et quand on va à la racine de ces histoires, on voit qu’il s’agit de vaincre le mal ensemble, toutes les races réunies. Pour moi, ces critiques sur Rings of Power viennent de personnes qui ne comprennent pas le message de Tolkien.

L.S.: Y a-t-il une franchise dans laquelle vous aimeriez travailler comme vous l’avez fait pour la saga Jurassic ou pour le Seigneur des Anneaux ?

J.B. : J’ai fait Jurassic World après avoir fait trois films dans mon pays. J’avais décidé de répondre à l’appel d’Hollywood. J’avais reçu des offres d’Hollywood même avant The Orphanage. J’étais attiré par ce monde et je voulais voir comment ça allait se passer. Et puis, l’idée de travailler avec Steven Spielberg était incroyable pour moi. Il a eu une influence énorme sur mon travail et c’est la raison pour laquelle j’ai décidé de faire Jurassic World.

L.S. : Quelle est la différence entre faire un film dans votre pays et le faire aux Etats-Unis dans une gros studio ?

J.B. : Il y a une grosse différence. Quand j’ai fait Jurassic World, je savais que j’étais au service d’une franchise qui comptait déjà quatre films de trois réalisateurs différents. J’ai contacté certains d’entre eux et j’ai mis mes compétences au service de la franchise. En même temps, si vous voulez donner le meilleur de vous, il faut mettre tout ce que vous avez dans votre histoire. Il faut se connecter à votre histoire. C’est la seule façon que je connais de donner le meilleur de moi-même dans une histoire. Et j’ai eu la chance de pouvoir garder mon ton. C’est marrant, c’est peut-être le film Jurassic Park/Jurassic World le plus bizarre jamais fait. Il ressemble parfois à un conte de fée, parfois à un film d’horreur. Mais j’étais soutenu par certains des réalisateurs de la franchise. Je parlais à Steven (ndlr : Spielberg) qui était très heureux que je trouve un moyen de mettre ma marque sur le film. Quand je parlais au compositeur, je me rappelle lui dire que la musique aurait pu être celle pour un film de Dracula. Il m’a dit que c’était génial, c’est ce que j’apportais au film.

L.S. : Avez-vous prévu de faire d’autres films dans votre langue maternelle, l’espagnol, comme The Orphanage ?

J.B. : Tout à fait. Je viens de finir Society of the Snow qui est basé sur une histoire vrai (ndlr: le crash d’un avion dans les Andes dans les années 70) et tourné en Uruguay. Le film a été tourné en espagnol et après 15 ans, c’était fantastique de revenir à mes racines et avec un casting composé d’acteurs uruguayens et argentins. J’ai passé un des meilleurs moments de ma vie sur ce film. Je me considère très heureux d’avoir pu travailler à Hollywood mais dans le même temps de pouvoir aussi revenir à la maison et de faire mes propres films dans ma langue.

L.S.: Votre travail est-il différent si vous travaillez sur un film basé sur des faits réels comme The Impossible ou bien sur une fiction totale ?

J.B. : C’est une question très intéressante. J’essaie toujours de me connecter avec les histoires que je raconte. Je fais beaucoup de recherches et quand on raconte une histoire vraie, c’est beaucoup plus facile. Il y a un matériel dans lequel on peut puiser. Dans Society of the Snow, j’étais en contact tous les jours avec les survivants du crash. C’est un bon moyen d’avoir du matériel qu’on recherche quand on travaille sur un film. Quand ce n’est pas une histoire vraie, le travail de recherche est différent mais pour moi, il s’agit toujours de récolter le plus d’informations possibles et ainsi de diriger l’histoire de la façon dont vous le voyez.µ

L.S. : Vous êtes un réalisateur à succès qui compte dans le milieu, cela vous donne-t-il une autonomie totale sur la manière dont vous réalisez vos films ?

J.B. : Quand vous pensez à Hollywood, la façon de faire des réalisateurs depuis les années 40-50 est la suivante : un film pour le studio, un pour eux, un pour le studio, un pour eux,… Pour moi, un film est une histoire de visuel et de son. Mais pour l’industrie, un film c’est une histoire de visuel, de son et d’argent. Et il faut savoir naviguer dans ce monde. Mais j’ai toujours essayé de trouver un moyen d’apprécier mon travail donc quand je faisais Rings of Power ou Jurassic World, je pouvais trouver assez d’éléments pour apprécier mon travail tout en étant au service de l’histoire de quelqu’un d’autre.

L.S. : Considéreriez-vous faire un film dans un pays comme le Japon, la Chine, l’Inde ?

J.B. :Pour moi, tourner Rings of Power, c’était comme faire un film au Japon (rires). Le film se faisait dans une langue qui n’est pas la mienne, dans un monde différent du mien. Mais oui j’aimerais beaucoup faire un film dans un de ces pays.

A propos Olivier Eggermont 117 Articles
Journaliste du Suricate Magazine