Parti en fumée, un père insaisissable

De et avec Othmane Moumen
Du 12 au 23 mars 2024 au Théâtre Les Tanneurs à Bruxelles

Parti en fumée est un spectacle très personnel écrit et joué par le comédien bruxellois Othmane Moumen. Il y évoque son père, un immigré marocain arrivée en Belgique dans les années 1960,  embauché comme chauffeur de bus à la STIB. Opéré il y a sept ans d’un cancer du poumon qu’on croyait fatal, ce père continue de fumer, au grand désespoir de son fils. En incarnant la figure paternelle à travers une marionnette grandeur nature et en lui donnant la parole à travers des enregistrements sonores, Moumen tente de comprendre ce père taiseux, insaisissable, à qui il sent pourtant qu’il ressemble de plus en plus.

Un spectacle de mime et marionnette

Dans Parti en fumée, le comédien, seul en scène (ou presque, car l’aide en coulisses fait parfois de courtes incursions sur scène derrière un masque), ne prononce pas un seul mot. Pour évoquer la figure du père, il choisit de donner la parole à celui-ci en diffusant des extraits sonores de conversations enregistrées en tête-à-tête, lors desquelles le père évoque son histoire personnelle. Le fils lui répond, en quelque sorte, par écrit, à travers des phrases évoquant ses pensées, projetées sur le grand rideau servant de fond d’écran.

À côté de cet étrange dialogue, avare en mots, c’est surtout avec son corps qu’Othmane Moumen incarne son père. Connu pour sa maîtrise du mime, avec une interprétation de Chaplin très remarquée il y a quelques années au Théâtre du Parc, le comédien alterne entre l’animation d’une marionnette et le port d’un masque représentant son père – deux objets qu’il a fabriqués lui-même lors d’un atelier organisé en 2021 par la marionnettiste Natacha Belova. La musique joue par ailleurs un rôle important pour accompagner les mouvements, avec entre autres quelques extraits de chansons de l’incontournable Oum Kalsoum pour illustrer la nostalgie du pays – celui de l’enfance et de l’insouciance.

La mélancolie de l’immigré

Autre élément scénique important tout au long du spectacle : la fumée. Omniprésente sur scène et dans la salle, cette fumée (heureusement non toxique car à base de maïs et non de tabac !) est celle de la cigarette, qui tue le père à petit feu. Mais c’est aussi en quelque sorte un symbole de la pudeur du père, de sa difficulté à s’ouvrir aux autres par la parole. Comme beaucoup d’hommes de sa génération, le père d’Othmane Moumen fume plutôt que de parler, au risque de rompre la chaîne de transmission de l’héritage familial.

Face la difficulté d’instaurer ce dialogue père-fils, Moumen partage ses questionnements avec le spectateur à partir des quelques éléments connus du parcours de son père. Il y a quelques années, alors qu’il préparait l’excellent spectacle collectif Moutoufs sur les enfants issus de couples belgo-marocains, Othmane Moumen avait déjà passé plusieurs heures en tête-à-tête avec son père pour évoquer ses souvenirs. Les enregistrements audio qu’il en a tirés, dont certains extraits sont diffusés dans Parti en fumée, sont touchants, ne serait-ce que par l’accent et la voix chevrotante de ce père qui, avec des mots simples et pourtant imagés, évoque une époque révolue dont il a la nostalgie. Toutefois, sans parole, le spectacle est parfois un peu lent et les petites anecdotes (les vacances au Maroc avec la valise pleine de pots de Nutella, les visites du fils à ses parents une fois adulte…) sont un peu trop légères pour rendre le personnage du père véritablement attachant. Son mariage en Belgique, sa relation avec ses enfants… sont à peine évoquées. Un peu comme le comédien lui-même, le spectateur reste sur sa faim.

A propos Soraya Belghazi 378 Articles
Journaliste