Paraiso : un manga à faire rougir le diable

Scénario et dessin : Suehiro Maruo
Éditeur : Casterman
Sortie : 18 janvier 2023
Genre : Manga

C’est avec un certain sens de l’ironie que le mangaka Suehiro Maruo titre son dernier ouvrage Paraiso, paradis en espagnol. Ceux qui le connaissent le savent déjà, dans ses narrations, adepte d’un érotisme brutal – on raconte que la prédominance du sexe dans ses histoires lui viendrait de l’époque où il était dessinateur pour une revue pornographique. Et ceux qui n’ont pas cette chance, le découvriront dès les premières pages, Paraiso s’ouvrant sur les penchants pédophiles d’un prêtre catholique. Le ton est donné. Ce manga s’impose comme une compilation de cinq nouvelles, gravitant autour d’un même sujet, celui de la dévastation et de la guerre, dont les premières victimes sont les enfants. Mendiants en culotte courte et prostituées orphelines y défilent pour le plus grand dégoût du lecteur.

Bref. Paraiso, un nom divin, pour une œuvre qui s’approche plus de l’enfer de Dante que de la Bible. Mais même si on est loin du paradis, il y a quand même une forme de mysticisme qui traverse ce dernier livre, la religion à la fois synonyme d’espoir et de soumission y occupant une place prédominante. Quand les Occidentaux débarquent victorieux au Japon, ils transportent dans leurs bagages une cohorte de saints et des rêves de démocratisation. Le catholicisme, avec ses beaux sermons et sa joue tendue, a pour les Nippons comme un goût de défaite. Qui plus est, Paraiso se définit aussi par son imagerie qui rappelle un peu l’univers de Jérome Bosch mais aussi celui des icônes, Maruo dressant le portrait d’enfants angéliques presque auréolés.

Propos morbide, dessin réaliste

Mais à la grande différence des précédents mangas de l’auteur comme Tomino la maudite – également publiés par Casterman qui sort ainsi de sa ligne éditoriale – Paraiso est profondément ancré dans le réel. Ici, l’horreur est liée à l’histoire en général, mais surtout à celle du Japon. Il est question d’âmes enlaidies par la guerre, d’hommes et de femmes défigurés par leur propre infamie. Ceux qui ont connu la  destruction et la misère semblent ensuite s’être affranchis de toutes lois morales, pour ne se laisser porter que par leur instinct de survie et leur bestialité. L’extrême morbidité du propos est rendue presque insoutenable par le réalisme du dessin. Le travail graphique mené par l’auteur est minutieux, presque chirurgical. Les personnages sont si incarnés que leur détresse devient vite la nôtre. Difficile de sortir indemne de cette œuvre qui se lance dans une dissection de la conscience humaine, afin de montrer qu’à l’intérieur tout n’est que putréfaction.