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    Les drôles de Jeux sans Frontières de Canine Jaunâtre 3

    De Marlene Monteiro Freitas avec le Ballet de l’Opéra de Lyon. Du 14 mars au 16 mars 2024 au Théâtre National.

    Le décor est propre, coloré, design, froid. Entre deux micros sur pied posés de part et d’autre de la scène, certains éléments évoquent les couloirs d’une piste d’athlétisme. Tout comme l’horloge, le chronomètre et le tableau des scores lumineux qui dominent le plateau.

    Vingt-cinq interprètes-danseurs et danseuses, vêtus de tuniques et shorts en velours noir, arborant tous un dossard portant le numéro trois, chaussettes blanches remontées à mi-mollet, gants en latex mauves, le menton blanc et les lèvres écarlates, s’avancent en file indienne le long de la scène, enjambent un filet qui délimite l’espace et se rassemblent en cercle au milieu du plateau. Ils entament, en douceur, avec de petits mouvements des pieds, à l’unisson, un chant a capella qui semble relever de l’hymne ou du teambuilding. Puis, tous désertent l’espace.

    Ils reviennent, s’échauffent, s’étirent et se répartissent par trois en différents endroits. Au signal de départ, chaque groupe répète une séquence millimétrée. Pour l’un, ce sont les chevilles qui bougent en cadence comme un métronome. Pour l’autre, ce sont des genoux qui partent dans des mouvements de balance. Des corps raides marchent comme des pantins hallucinés, imitent le mouvement de tirs de mitraillette. Un homme, torse nu, traverse le plateau tandis qu’un autre, à quatre pattes, semblent régurgiter dans de gros borborygmes.

    Le chronomètre égrène les chiffres à un rythme effréné. Une alarme retentit, le tableau des scores affiche : home 3, guest o. Un arbitre siffle. Puis la compétition sans adversaire, sans enjeu et sans réel affrontement reprend, rythmée par un tableau électronique qui comptabilise bruyamment les points qui semblent attribués de façon totalement aléatoire.

    C’est parti pour une course haletante qui mêle force et beauté, souffrance et laideur, dans une chorégraphie virtuose signée Marlene Monteiro Freitas. La danseuse et chorégraphe portugaise d’origine cap-verdienne, a créé cette pièce étrange et fascinante, en 2018, pour la Batsheva Dance Company, compagnie israélienne dirigée par Ohad Naharin. Aujourd’hui elle recrée Canine Jaunâtre 3 – sans rien perdre de sa pertinence et de sa flamboyance – pour le Ballet de l’Opéra de Lyon qui l’intègre dans son répertoire.

    Les séquences se succèdent, entrecoupées par des prises de parole soudaines, avec des voix de dessin animé et des visages se déforment dans de vilaines grimaces. Les groupes épars ont leurs logiques et leurs mouvements propres, des postures, des corps exposés, quelque pas tressautés, des sauts, de grands écarts, un photographe qui réalise des clichés avec le seul trépied de son appareil (inexistant, des séances récurrentes de chatouilles collectives, … Les scènes s’enchaînent sans fil conducteur apparent, si ce n’est celui des corps qui transpirent et fatiguent, au gré d’une bande-son éclectique : bossa nova brésilienne, Amy Winehouse et Nina Simone, extraits du Lac des Cygnes ou créations sonores de Rui Antunes.

    Loin du chaos que pourrait suggérer la juxtaposition de tableaux disparates, la scène est ordonnée au cordeau par les lignes symétriques de danseurs. Elle prend des allures d’un stade d’athlétisme qui accueille simultanément différentes compétitions. Cela s’agite et grouille dans tous les coins, il se passe toujours quelque chose quelque part.

    La performance physique des interprètes qui portent avec énergie ce ballet d’une intensité explosive est impressionnante. Tout du long, le corps des danseuses et des danseurs semblent habités par une tension, comme une entrave qui empêchent les mouvements d’être parfaitement fluides. Tout en dégageant une énergie folle, parfois dans d’infimes petits gestes, comme des vibrations. Mais à chaque fois que l’excitation monte, approchant du paroxysme, la séquence s’arrête immédiatement, en plein vol, laissant retomber la pression avant d’enchaîner avec un autre tableau. Toute la tension accumulée trouvera à s’évacuer dans un final dansé et chanté par tous les athlètes qui retrouveront la sérénité d’avant spectacle par le même exercice de chant a capella.

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