« Il Boemo », film classique au service de musique classique

Il Boemo
de Petr Vaclav
Biopic, Historique
Avec Vojtěch Dyk, Barbara Ronchi, Elena Radonicich
Sortie le 13 décembre 2023

Ce qu’il y a de certain, c’est qu’Il Boemo, est un biopic. Celui d’un compositeur oublié, né dans un pays oublié. Dans l’ombre de l’actuelle Tchéquie, noyé dans le tentaculaire Saint-Empire, il y avait le royaume de Bohème. Dans l’ombre de Mozart, il y a toujours eu Josef Mysliveček. Il Boemo retrace le destin de ce compositeur négligé par l’histoire depuis son arrivée à Venise en illustre inconnu jusqu’à son décès prématuré à Rome en passant par son succès panitalien et son acclimatation à la vie libertine. Ainsi, le film de Petr Václav offre une vue quasi panoramique sur la vie du compositeur.

Cette conclusion assez facile à faire amène à une question beaucoup plus profonde : à quoi sert un biopic ? Car, si dans Il Boemo rien ne parait mauvais ou raté, il n’en reste pas moins une sensation de rester sur sa faim. En effet, le film est beau, la narration efficace, il n’y a rien à dire sur le jeu des acteurs et encore moins sur la bande-son qui accompagne le long-métrage. Mais que reste-t-il d’Il Boemo après être sorti de la salle ? Une connaissance plus approfondie d’un compositeur oublié pour sûr. Mais est-ce vraiment là l’intérêt d’un film ? Un biopic ne doit-il véritablement qu’apporter de la connaissance à son spectateur comme le ferait une page Wikipédia ? Évidemment que Josef Mysliveček mérite qu’on s’attarde plus à son destin, à son travail, à son époque. Mais un regard froid et uniquement descriptif fait-il vraiment naître un quelconque intérêt auprès d’un large public ?

Oui et non. Bien qu’une certaine hype ait suivi la sortie de Bohemian Rhapsody (2018), on peut largement regretter l’aspect lisse du film qui, tout comme Il Boemo, structure sa narration dans un « rise and fall » s’étalant sur la quasi-totalité de la carrière du protagoniste et ne visant qu’une glorification de celui-ci. Sorti à la même époque que le biopic de Freddie Mercury, Rocketman (2019) prend un parti radicalement différent laissant complètement de côté la seconde partie de la carrière d’Elton John et n’hésitant pas, certes toujours dans une forme « rise and fall », à salir son personnage ne laissant pas, comme il peut en être de Josef Mysliveček ou du leader de Queen dans leur biopic respectif, l’image d’un être toujours bon, faisant systématiquement les bons choix, dont les erreurs ne sont jamais vraiment la faute et qui ne mérite rien d’autre que notre admiration et notre empathie.

Ici, nul réel point de vue n’est exprimé que ce soit sur le compositeur ou son époque. Pourtant, la Venise libertine du XVIIIe siècle est un épisode sulfureux de l’histoire, un tournant philosophique et social où les idées révolutionnaires des lumières côtoient une Renaissance où le religieux est omniprésent dans l’art. Mais, encore une fois, rien, ou très peu : Il Boemo ne s’attèle à rien d’autre que de raconter la grande histoire de son grand compositeur. Et c’est sûrement ça qui, à l’image d’un Mysliveček oublié dans l’ombre de Mozart, effacera Il Boemo au profit d’Amadeus. Impossible de ne pas rapprocher les deux longs-métrages, le jeune Wolfgang apparaissant même dans le film. Cependant, il n’y a pas que la notoriété dont jouit Mozart qui explique le succès du biopic qui lui est dédié.

Amadeus n’adopte pas le point de vue du génie autrichien, mais celui de sa némésis, Antonio Salieri, compositeur frustré et jaloux du jeune prodige. Par ce choix, Miloš Forman met plus que la vie de Mozart en image. Il ancre une rivalité, il parle de l’ambiguïté d’un Salieri si admirateur qu’il ne pouvait tolérer sa propre absence de génie. Amadeus restera car cette jalousie mortifère a marqué les esprits. Que restera-t-il d’Il Boemo ?

Cependant, ce dernier exemple pose une autre question. Étant donné que la rivalité que montre Amadeus n’a jamais existé, qu’elle n’est que pure invention, on peut se demander quel crédit on peut accorder à un biopic, qui reste un film de fiction n’ayant aucune obligation à montrer la réalité. On peut aussi saluer la volonté de Petr Václav d’être au plus proche de la véritable histoire du réalisateur bohémien. Cependant, étant donné, que des recherches sont nécessaire afin de démêler le vrai du faux de n’importe quel biopic, on est en droit de se demander : pourquoi vouloir être si proche de la réalité en risquant de desservir son film ? Mais aussi, quel intérêt, finalement, de faire des biopics ? Quitte à raconter des histoires n’étant jamais arrivées, pourquoi ne pas véritablement faire de la fiction ?