« Le Procès Goldman », la vérité en jeu

Le Procès Goldman
de Cédric Kahn
Policier, Drame, Historique
Avec Arieh Worthalter, Arthur Harari, Jeremy Lewin
Sortie le 4 octobre 2023

Accusé des meurtres de deux pharmaciennes pour lesquels il risque la peine capitale, Pierre Goldman clame son innocence. Cédric Khan signe un film sobre, entièrement dédié à ses acteur.ice.s, et dresse le portrait d’un homme accablé par l’antisémitisme français des années 1970.

Le film de procès, actuellement en pleine santé dans le cinéma français, a toujours pour lui ce mérite simple mais trop souvent négligé : offrir à notre regard des acteur.ice.s qui jouent. Par sa proximité naturelle d’avec la scène de théâtre, le tribunal et les délibérations qu’il abrite sont une opportunité pour les cinéastes de poser leur caméra, de ralentir le rythme, et de donner de l’espace à la parole des interprètes. L’adresse inaugurale du personnage de Pierre Goldman, qui déclare avérer par dessus tout la théâtralité inhérente à l’exercice de la justice, sonne alors comme une mise en garde.

La mise en scène de Cédric Khan est asséchée au possible : les plans sont longs et fixes, la musique est absente, et l’intrigue est entièrement circonscrite au temps du procès. Le film consiste essentiellement en une succession de témoignages, nous plaçant de fait dans la position active de juré, affublé de la lourde tâche de rendre un verdict : Pierre Goldman, militant d’extrême gauche juif et charismatique, est-il coupable du double meurtre dont on l’accuse ? Tout l’enjeu – extrêmement ludique – de notre expérience de spectateur sera contenu dans l’examen attentif de la parole des différents intervenants, à l’affut des moindres failles de leurs interprétations. Personnages et comédien.ne.s s’interpénètrent alors pour livrer une bataille sans merci, chacun luttant pour tirer à soi la couverture de la vérité. A cet exercice, le trio central que constituent Arieh Worthalter,  Arthur Harrari et Nicolas Briançon, fait preuve d’une synergie impressionnante dans laquelle chaque acteur est stimulé par les autres à intensifier son registre de jeu. Les sorties enflammées et éloquentes de Goldman (Worthalter) titillent la manière fébrile de son avocat (Harrari), dont les diatribes fiévreuses provoquent l’ire de Maître Garaud, l’avocat général, brillant à son tour par ses traits d’esprits grinçants et ses apostrophes théâtrales à la cour.

Mais cette vérité du jeu ne se substitue pas pour autant au réel dont le film puise sa matière première. Paradoxalement, c’est en l’absentant de l’image que celui devient tangible : Khan évite le piège de la reconstitution maniérée et tient courageusement son parti pris d’un huis clos d’une grande sobriété, souligné par la rigidité du format 1:33. Plutôt que de rares marqueurs temporels ostensibles (costumes, coiffures), ce sont les éléments de langage, de diction, et de psychologie déployés par les personnages qui nous plongent au cœur de cette époque politiquement trouble. C’est que l’issue du procès parait finalement secondaire dans le projet du cinéaste, qui s’attache en revanche à peindre habilement le tableau d’une France autoritaire, raciste et encore largement antisémite (la judéité du père de l’accusé, ancien résistant, et celle de l’avocat de la défense seront décisives dans les plaidoiries). Une xénophobie généralisée à l’institution, ouvertement conspuée par Pierre Goldman qui ne désire rien d’autre que de se « libérer de la meurtrissure d’être juif ». Le carton qui conclue le film vient tragiquement nuancer le soulagement d’un verdict en sa faveur : assassiné dans des circonstances troubles après sa libération, le silence laissé par la mort de Goldman est celui de la honte. La honte d’une nation incapable d’affronter les démons de l’histoire au nom d’un idéal supérieur de justice.

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