« Making of », cinécauchemar

Making of
de Cédric Kahn
Comédie
Avec Denis Podalydès, Jonathan Cohen, Stefan Crepon
Sortie le 10 janvier 2024

Dans Le Procès Goldman, sorti l’an dernier, Cédric Khan observait méthodiquement le petit théâtre que constitue un tribunal et révélait alors la fiction tapie sous le réel du procès. Comédie sociologique grinçante mélangeant tonalités narratives et formats d’image, Making of semble de prime abord aux antipodes formels de son prédécesseur. Le cinéaste y décrit le tournage houleux d’un film racontant le combat d’ouvriers pour sauver leur usine d’une délocalisation. Problème : les financiers se retirent du projet et le réalisateur se retrouve à devoir affronter un conflit social avec son équipe. Pour autant, on retrouve là une même méthodologie, à savoir l’établissement rigoureux d’un cadre – ici le tournage d’un film, de son premier à son dernier jour –  à l’intérieur duquel le réalisateur examine les dynamiques de pouvoir qui régissent le quotidien d’un ensemble de personnages.

Cette mise en parallèle ludique entre deux niveaux de récits, occasionnant un conflit intérieur assez savoureux chez le personnage du réalisateur, est le versant le plus convainquant du film. Tiraillé entre son désir d’accoucher d’un chef d’œuvre en hommage aux luttes ouvrières, et son sens moral lui soufflant d’arrêter le tournage faute de pouvoir payer les techniciens, Simon passe par toutes les émotions et frôle le nervous breakdown. Avec son air hébété et son tempérament nerveux, Denis Podalydès navigue avec aisance entre les registres de jeu pour composer un personnage pathétique d’artisan au bout du rouleau. Il faut dire que la décision qui lui revient n’est pas simple, tant les positions des différents acteurs de cette débâcle sont traitées avec la plus grande considération par Cédric Khan. Evitant tout manichéisme, on est tour à tour convaincu par le discours des financiers, désireux de plaire au public, puis par celui de Simon, refusant le happy end malhonnête suggéré par ses producteurs, et enfin par celui des techniciens pour qui le film représente avant tout la promesse non négociable d’un salaire.

Cette lutte des classes, ramenée à l’échelle du microcosme d’un tournage, est observée du point de vue extérieur de Joseph, jeune aspirant cinéaste catapulté malgré lui réalisateur du making of de ce drame social. Affublé d’une intrigue amoureuse peu intéressante avec l’actrice principale du film, son personnage peine à s’harmoniser au récit principal. Son regard sur le conflit aurait dû être la structure solide qui manque parfois à Making of, mais celui-ci ne se manifeste que dans de très rares extraits des rushs qu’il capture avec sa caméra. On se prend vite à rêver à ce qu’aurait pu être le film si toutes les scènes dépeignant le tournage avaient été montées à partir de ces rushs, sans doute plus percutants, rugueux, et moins consensuels que ceux filmés par Khan qui ne brillent pas par leur radicalité. En l’absence d’une colonne vertébrale robuste et d’un principe fort de mise en scène, le film s’égare dans des intrigues secondaires anecdotiques (les conflits amoureux de Joseph et Simon) et dilue l’acidité de son propos dans une tiédeur regrettable.