La Dernière Reine : Cap sur le Vercors

Scénario : Jean-Marc Rochette
Dessin : Jean-Marc Rochette
Éditeur : Casterman
Sortie : 05 octobre 2022
Genre : Roman graphique

Descendant d’une longue lignée de sorcières gardiennes de la faune vertacomicorienne, Édouard essuie depuis son plus jeune âge les moqueries de ses pairs. Mais il n’est pas bien armé contre la cruauté humaine, surtout celle qui, au détour d’une guerre, lui arrachera son visage. Dégoûté par le trou qui lui sert de bouche, Édouard se condamne à vivre caché. Il fait de sa solitude une forteresse impénétrable, refusant même de revoir sa propre mère. Seules les promesses d’une belle sculptrice, réparatrice des « gueules cassées », pourront lui redonner le sourire, au propre comme au figuré. Main dans la main, ils affronteront alors ensemble le cruel monde de l’art à Paris, avec son lot d’escrocs et de mauvaises langues. Malheureusement, ces deux cœurs purs semblent bien mieux comprendre le langage de la nature que celui des hommes.

Rochette profite de la place importante qu’il accorde dans son récit au travail artistique de la jeune femme pour réfléchir au geste comme vecteur d’expressivité dans l’œuvre. Et là, c’est comme si son discours prenait forme, dans un dessin qu’il veut énergique, hachuré. Le traitement graphique devient comme une moulure fondue dans l’histoire, qui donne aux corps des personnages la spontanéité de leur caractère et aux décors cette magnifique brutalité des paysages encore préservés. On connaissait déjà les compétences techniques de l’auteur du Transperceneige – rendu encore plus célèbre par l’adaptation cinématographique qu’en a fait le cinéaste coréen Bong Joon-Ho – mais dans ce dernier album, Rochette parvient à utiliser cette tradition graphique de la bande dessinée qu’il maîtrise déjà pour mieux la moderniser, en donnant à son trait un dynamisme nouveau.

Ce sont de beaux personnages que Rochette nous dessine, avec une présence féminine forte qui fait écho au règne des ourses dans la vallée alpine. La rumeur veut que tant que vivra la dernière ourse, figure de la reine-mère, les hommes n’auront rien à craindre. Mais gare à ceux qui auront sa peau. La Dernière Reine est une ode à la montagne, aux espèces qui la font vivre. C’est ainsi une manière pour le Grenoblois de faire cohabiter deux mondes ; celui de son pays et celui de sa profession. Il fait se répondre nature et création, dans ce qu’ils ont de plus sensible et de plus généreux.