« Anatomie d’une chute », écrire, coûte que coûte

Anatomie d’une chute
de Justine Triet
Policier, Drame, Thriller
Avec Sandra Hüller, Swann Arlaud, Milo Machado Graner
Sorti le 30 août 2023

Le corps de Samuel Maleski, écrivain et prof d’université, chute du haut d’un chalet et tombe. Les éclaboussures de sang figées dans la neige figent momentanément les traces de sa mort. Son fils, Daniel, jeune ado, le découvre en revenant d’une promenade avec son chien-guide. Daniel est en effet malvoyant, suite à un accident durant son enfance. Sandra Voyter, écrivaine et compagne de Samuel, était dans le chalet au moment des faits.

Avant cette découverte macabre, Anatomie d’une chute débute par une conversation interrompue. On y voit Sandra en conversation avec Zoé Solidor, une journaliste venue l’interviewer. Sauf que l’échange a du mal à avoir lieu. On devine deux personnalités très intelligentes en train de se défendre et de débattre. Sandra parle de l’entremêlement de la fiction et du réel dans sa vie, quand une musique assourdissante met fin à toute nouvelle tentative de question/réponse. Samuel, celui à l’origine des bruits, perturbe. Quelque chose se dessine alors, dans les regards, les sourires figés. De l’ordre de la tension et du flou.

Et voici le public plongé dans les turpitudes de ce couple, de cette relation, de cette famille. Sauf que rien n’existe plus. Le couple est mort depuis longtemps, eux-mêmes semblant avoir eu du mal à se définir. Lui, Samuel, est littéralement mort. Tout est donc raconté, remémoré, oublié puis raconté autrement, avec d’autres mots, changeant les situations, les points de vue, les lignes de force. Sandra fait l’objet d’une enquête pour « mort suspecte », parle avec son avocat. Des zones d’influence se dessinent, des personnes sont quémandées pour faire barrière, protéger Daniel, tenter d’y voir plus clair.

Le flou envahit alors l’image. On ne sait plus qui on doit croire, écouter. Le temps du procès approche. On y entend des enregistrements, on parle à la cour. Les témoignages se suivent, jamais redondants, jusqu’à cette vidéo glaçante projetée au tribunal, cette dispute de couple où tous les coups sont permis. Le doute grandit. Mais il faut un jugement, c’est la loi qui le veut. Très vite, dès les premières minutes, on nous a pourtant dit que la vérité n’est pas ce qu’on recherche dans ce film, ce procès. C’est quelque chose de plus indicible, d’une grande complexité, mêlant fiction et réalité et dont on n’aura qu’un début de réponse.

Anatomie d’une chute, c’est un film de procès diablement efficace. C’est aussi la dissection implacable d’une relation entre un homme et une femme, relation rongée par le ressentiment, la honte, la culpabilité et la jalousie. Et durant tout ce temps, le chien-guide vit sa vie de chien, même si lui aussi, comme toute relation peut-être, en déséquilibre permanent, est condamné à la mort.