Fences, chronique afro-américaine

Fences

de Denzel Washington

Drame

Avec Denzel Washington, Viola Davis, Stephen Henderson

Sorti le 22 février 2017

L’histoire du quotidien d’une famille afro-américaine dans les années 50 où les rêves perdus des uns se confrontent aux espoirs des autres dans une Amérique en pleine évolution. Troy Maxson (Denzel Washington), ancien sportif professionnel, a dû y renoncer et se résigner à devenir employé municipal pour faire vivre sa femme, Rose (Viola Davis) et son fils, Cory (Jovan Adepo). Son rêve déçu et l’expérience d’une existence parsemée d’embûches influencent sa vision de la vie. Le conflit de génération sur fond d’émancipation des minorités va ainsi créer des tensions qui risquent de faire imploser cette famille dont l’existence semblait si paisible.

On s’attend de prime abord à un film militant, dénonçant la condition de la minorité noire américaine dans l’Amérique des années 50. Mais on est agréablement surpris. Si le contexte politique est présent, ce n’est qu’en filigrane et les principaux nœuds dramatiques se concentrent sur cette famille, à travers le personnage de Troy. La qualité des dialogues autour de situations anodines fait transparaître la vision profonde du monde du personnage principal, nous plongeant dans une chronique familiale réaliste, presque poétique, qui révèle la complexité de cet homme. Considérant que le sacrifice pour sa famille est supérieur à toute notion d’amour, un conflit s’instaure avec les autres membres qui refusent d’accepter que le devoir prime sur les rêves.

Rappelant dans une certaine mesure la pièce de Tennessee Williams, Un tramway nommé Désir et son adaptation cinématographique par Elia Kazan, on retrouve ici des thèmes chers à cet auteur : amour, devoir et passion. La dimension quasi documentaire et presque voyeuriste de ce microcosme nous replace dans le contexte du théâtre et la maison devient un décor où (presque) tous les drames se nouent. Oublié le contexte politique, les conflits deviennent universels et les personnages existent à travers leurs certitudes et leurs contradictions. À noter que les acteurs sont extraordinaires et les personnages secondaires ont tous une existence juste influant à leurs manières sur les évènements. Les interactions sont réalistes et rendent chacun des protagonistes attachant avec des forces et des faiblesses profondément humaines.

Mais ce film, bien que très proche de l’univers d’Elia Kazan adopte une réalisation résolument moderne, bien que très épurée. La caméra est proche des personnages et le montage est tout au service des acteurs avec très peu de fantaisie. La dimension réaliste est accentuée par le hors champ, largement utilisé, respectant ainsi la dimension théâtrale du récit. Éludant volontairement certaines situations, Denzel Washington les matérialise uniquement à travers le jeu. Ainsi ce dernier ne tombe pas dans le piège de l’omniscience même si l’univers est élargit, évitant l’oppression du huis-clos.

Même si certaines scènes tirent parfois en longueur – et que l’on ressent tout de même bien les 2 heures 20 de film – on pardonne aisément à Denzel Washington qui signe ici un premier film maîtrisé et sensible, chronique réaliste d’une Amérique en pleine évolution.

A propos Bruno Pons 45 Articles
Journaliste du Suricate Magazine