« Exterminate All the Brutes », œuvre magistrale d’une intelligence remarquable

Titre : Exterminate All the Brutes
Auteur : Raoul Peck
Editions : 10/18
Date de parution : 2 novembre 2023
Genre : Récit

« Le mot « exterminer » vient du latin exterminare, « pousser au-delà de la frontière vers la mort, bannir à vie ».  L’objet de l’action est rarement un individu seul, mais plutôt des groupes entiers, comme des rats, du chiendent ou des gens. Le mot « brutes », bien entendu, réduit l’objet à son seul statut d’animal. »

Raoul Peck est un réalisateur, scénariste et producteur de cinéma haïtien. Il fut ministre de la Culture en Haïti entre 1995 et 1997. En 2017, son film I Am Not Your Negro est nominé aux Oscars dans la catégorie documentaire. Cette œuvre réalisée à partir du manuscrit de James Baldwin, retrace la lutte des Noirs américains pour les droits civiques.

Avec Exterminate All the Brutes, Raoul Peck décide d’élargir la focale et de narrer une partie de l’Histoire en adoptant la position des peuples conquis, vendus, déportés et/ou victimes de génocide. A partir des ouvrages de Joseph Conrad et Sven Lindqvist, de Roxanne Dunbar-Ortiz et de Michel-Rolph Trouillot, il tissera un récit d’une grande puissance narrative, carrefour entre trois pensées, toutes moteurs du racisme et créatrices du mythe du « Blanc » sauveur.

Extermination des indiens d’Amérique, esclavage des peuples d’Afrique, Shoah ou encore impérialisme colonial, Raoul Peck requestionne la version officielle de l’Histoire. N’a-t-on d’ailleurs pas coutume de dire que l’Histoire est toujours racontée par les vainqueurs ? A l’image de son corollaire, Exterminate All the Brutes est à l’origine un documentaire, divisé en quatre épisodes. Dans l’ouvrage manuscrit, l’auteur a voulu coller à la version cinématographique et nous gratifie d’une narration par plan séquence. Nous permettant d’être ainsi pleinement immergé dans l’expérience visuelle et sensorielle de son œuvre. Un format original et un récit qui interpellent à plus d’un titre.

Le point fort de la lecture

Dès le début de l’ouvrage, l’auteur précise « entrer dans l’univers de ce récit exige une disposition psychologique particulière et une généreuse capacité d’absorption sensorielle et mentale. Car il ne peut s’agir d’un objet de consommation. Ce texte exige l’active participation du lecteur. Et selon le bagage que celui-ci ou celle-ci apporte, l’expérience en sera transformée. Car ce récit polyphonique présente un mode opératoire, une structure, une syntaxe et un fonctionnement à entrées multiples. »

Cette invitation dès le début de notre lecture, nous a directement fait prendre conscience que nous serions face à un auteur qui avait travaillé son sujet, qui le connaissait jusqu’au bout des ongles et qui allait nous demander d’embarquer dans le train avec lui. Nous y sommes montés et quelles sensations !

Tout d’abord, l’émerveillement face à cette écriture. Une plume absolument magistrale, parfaite, précise, dénuée de tous artifices, essentielle, asséchée, jusqu’à l’os. Un bijou d’écriture où chaque phrase, chaque idée sont autant de ravissements intellectuels. C’est un texte d’une énorme puissance narrative, addictif et d’une intelligence exceptionnelle.

Ensuite, l’admiration pour l’esprit de son auteur, la justesse de propos et son positionnement. Raoul Peck ne se veut pas historien, il écrit sans équivoque que son récit n’est pas une vision empirique de l’Histoire. Il ne nie d’ailleurs pas la subjectivité, inhérente à la nature de son récit et à sa résonnance intrinsèque en tant que Black américain. Il affirme : « Cette histoire, c’est aussi un voyage personnel ». Toutefois, n’allez pas croire que ce positionnement impactera la qualité ou la valeur du récit, cette subjectivité n’intervient que dans l’élaboration de la trame narrative et en aucun cas, sur la véracité des faits historiques exposés.

Finalement, l’empathie et l’effroi. Comme affirmé ci-dessus, c’est un ouvrage qui nécessite une disposition psychologique particulière, pour l’ouverture d’esprit qu’il exige mais également pour le travail de déconstruction qu’il requiert. C’est un ouvrage qui invite à bannir la vision manichéenne de l’Histoire et à questionner la nature de l’identité des peuples.

On vous souhaite de le découvrir, de le partager et de le questionner. Tout pourvu qu’il puisse favoriser le dialogue, le débat et nourrir votre libre-arbitre et votre esprit critique.

De tels ouvrages sont précieux. On vous le recommande une fois, dix fois, cent fois, un million de fois. Raoul Peck doit être lu, il doit être vu, il doit être écouté mais surtout, il doit être entendu.