« États d’urgence », déshumanisons avec humour

Titre : États d’urgence
Auteur : François Szabowski
Editions : Le Tripode
Date de parution : 3 février 2022
Genre : Roman

« On dit les Français frondeurs, et individualistes. Et certaines manifestations ayant eu lieu ces derniers mois nous l’ont rappelé. Mais les Français ont aussi le sens du devoir et de la raison. Pour la première fois de son histoire, le peuple français a accepté de brider sa liberté, pour le bien de tous. Pour cela, Chers Concitoyens, je vous dis merci. Merci du fond du cœur. »

Raté. Ce ne sont pas les dernières allocutions d’un Macron paniqué par la crise sanitaire, mais bien le discours efficace tenu par Bromont, président fictif de la France imaginée par Szabowski dans États d’urgence. Les historiens clamant que le futur est aujourd’hui de plus en plus difficile à prévoir, c’est littéralement dans l’hexagone de demain, en 2024, que l’auteur campe son récit. Ici, il n’est plus question de pandémie mais bien de la hausse des accidents. Les problèmes ont beau être différents, au cœur de ces crises, on retrouve pourtant un même enjeu : l’incapacité du système de santé à faire face. Et au début, ce sont aussi les mêmes réactions politiques engendrant les mêmes mesures de sécurité en vigueur. Après s’être fait servir du covid en veux-tu en voilà sur toutes les chaînes, tout ce qu’on espère d’un écrivain de fiction c’est qu’il nous épargne le sujet.

Et pendant les cinquante premières pages, ce n’est pas gagné. Le héros endosse parfaitement le rôle trop cliché du citoyen naïf acquiesçant docilement aux injonctions qui nous sonnent familières. Mais quand Szabowski fait intervenir la réalité virtuelle et le réaménagement de l’espace urbain, les choses prennent une tout autre tournure. États d’urgence devient surprenant, rendant possibles des situations de plus en plus grotesques. Parallèlement à l’histoire qui commence à se déployer, le personnage s’impose. La chenille devient papillon et le loser pathétique se transforme en un héros kafkaïen bien mieux esquissé. Alors seulement, on se laisse convaincre par un Szabowski qui nous emporte dans un futur de plus en plus délirant.

Entre récit fantastique et roman réaliste, Szabowski nous propose une œuvre particulière, indéfinie. Certains apprécieront son caractère divertissant pendant que d’autres s’approprieront son coté insurrectionnel. Il est évident que cette fiction est politisée, questionnant nos comportements pendant la crise sanitaire mais aussi la plateformisation de notre économie, la modification de nos rapports humains et la présence de la technologie dans l’espace public. En détournant l’histoire, l’auteur essaye de nous confronter à nos propres absurdités. On ne peut lire la situation de François sans se rendre tristement compte que cette docilité dont on se moque, c’est aussi la nôtre. Le petit plus d’États d’urgence, c’est également sa couverture d’inspiration bande dessinée qui colle parfaitement avec le côté subversif de son sujet. Encore une fois, le Tripode qui a notamment édité Sapienza et, plus récemment, le chef-d’œuvre de Dimitri Rouchon-Borie, prouve qu’il est important de soigner les apparences.