« Crimes of the Future », un retour qui prend plus aux méninges qu’aux tripes

Crimes of the Future
de David Cronenberg
Fantastique, Drame
Avec Viggo Mortensen, Léa Seydoux, Kristen Stewart
Sortie le 25 mai 2022

Pour son grand retour à Cannes après huit ans d’absence, David Cronenberg revient à ses premiers amours dans Crimes of the Future. Bien loin des conventions d’un cinéma fantastique qu’il a toujours fui, le maître du body-horror livre une œuvre théorique passionnante mais trop bavarde. 

Plus de 25 ans après avoir créé la polémique sur la Croisette avec Crash, prix du jury en 1996, David Cronenberg remonte les marches du Festival de Cannes avec son très attendu Crimes of the Future. Vendu comme le film choc et polémique de cette édition 2022, il signe le retour du réalisateur au fantastique et au body-horror après avoir marqué une pause depuis ExistenZ. Bien qu’il n’ait jamais cessé d’interroger notre rapport à la violence, de malmener les corps, de scruter la psyché de ses personnages ou d’insuffler une bonne dose d’étrangeté entre deux, le Canadien revient ici aux thématiques phares et au style de son cinéma pré-2000.

Dans un futur proche où l’être humain subit des mutations corporelles engendrées par la transformation de l’environnement, Saul Tenser (Viggo Mortensen), célèbre performeur de body art voit son corps développer de nouveaux organes continuellement. Avec l’aide de son assistante Caprice (Léa Seydoux), ils organisent des représentations sous forme d’interventions chirurgicales en live durant lesquelles l’artiste se fait retirer ses organes sous les yeux d’admirateurs.

Du fait de ces métamorphoses, la société se clive entre ceux qui embrassent l’évolution et ceux qui la rejettent, n’y voyant que déviance et décadence. Saul Tenser, lui, ne se positionne pas. Libre à ses spectateurs d’interpréter le sens de ses performances et de ce que son corps produit. Ce qui ne l’empêche pas d’attirer la curiosité de chacun, de Timlin (Kristen Stewart), chercheuse au Registre National des Organes à un agent de la Brigade des Nouvelles Mœurs (Welket Bungué) en passant par un groupe de personnes capables de se nourrir de plastique.

Loin de proposer une enveloppe moderne à l’avenir proche dans lequel il s’inscrit, Cronenberg ancre l’action dans une Grèce méconnaissable, dévitalisée et à la limite du post-apocalyptique, où se mêlent épaves et murs décrépits. Il délivre sa vision d’un monde en train de pourrir, imposant aux corps de ses habitants de s’y adapter pour survivre. Un monde où l’être humain ne ressent plus la douleur et s’engage dans de nouvelles façons de ressentir. “Surgery is the new sex” comme le répète Timlin. Cronenberg observe cette adaptation, les changements moraux qu’elle provoque et s’interroge sur les limites de l’art dans ces périodes floues où les mœurs évoluent.

Un champ théorique passionnant auquel s’ajoute un regard critique sur le système hollywoodien ainsi qu’une réflexion sur l’acceptation de la mort en tant que fin inévitable. Et s’il s’avère riche dans ce qu’il évoque, Crimes of the Future ne s’attarde pas suffisamment sur la trame “polardesque” qu’il déploie parallèlement aux questions que se pose Cronenberg. Le résultat est une œuvre bavarde et bâtarde, partagée entre l’austérité de sa mise en scène et la fascination que suscite son hypnotisante plongée dans la tête de son créateur.