J’aurais préféré recevoir une des « Wicked little letters » plutôt que de le voir

Wicked Little Letters
(Scandaleusement vôtre)
de Thea Sharrock
Comédie, Policier, Drame
Avec Olivia Colman, Jessie Buckley, Anjana Vasan
Sortie en salles le 13 mars 2024

Il y a des films qu’on connait parce qu’on les a, en effet, déjà regardés, et il y a des films qu’on connait simplement parce qu’on en a déjà vu mille similaires. Wicked Little Letters fait malheureusement partie de cette triste catégorie. L’histoire débute en 1920, à Littlehampton, sur la côte Sud de l’Angleterre lorsque s’en est trop pour Édith Swan et sa famille recevant leur énième lettre d’injures. Écrite dans un style proche de celles préalablement destinées à cette fervente catholique, la nouvelle lettre est, une nouvelle fois, anonyme. Cependant, tout porte à croire qu’elles sont l’œuvre de Rose Gooding, mère célibataire et irlandaise aux mœurs inhabituelles. Au milieu de cette querelle de voisinage, l’agente Gladys Moss, première « woman police officer » du Sussex, se demande si les apparences ne sont pas trompeuses.

Et voilà, ici, exposés les deux enjeux qui jalonnent la totalité du film sans pour autant incorporer une once de suspens. Oui, il faut se méfier des apparences. Oui, il faut questionner les normes. Oui, on peut être une femme et être libre, ou compétente, ou les deux. Merci pour les tips. Cette narration courue d’avance affadit d’autant plus un film qui ne brillait pas par la recherche de ses personnages. Bien que les trois femmes soient construites de manière efficace, elles ne sont que des stéréotypes n’allant pas plus loin que ce qu’on comprend d’elle dès les premières séquences : la marginale, la frustrée, la justicière. Cette donnée qu’est la fadeur s’incarne tout particulièrement dans le personnage de Gladys Moss qui souffre d’un mal qui part d’une intention plus que louable : faire d’une femme, une figure compétente. En voulant faire de ce personnage féminin un symbole de positivité sans peur et sans reproche, on obtient un chef-d’œuvre d’insipidité. En effet, ce qui est intéressant dans un personnage, ce qui le rend humain et donc aimable (dans le sens où il est possible de l’aimer) à nos yeux, ce sont, justement, ses faiblesses. Tirailler un personnage c’est donner un intérêt à sa narration, car en rendant ses choix imprévisibles (dans le sens où on ne peut pas prévoir sa décision avant qu’il l’ait prise), on met le spectateur en tension, on le tient accroché à l’histoire, on l’intrigue. Ici, les monolithes que sont ces trois femmes n’offrent en rien cela, toutes leurs actions étant attendues au possible. On peut alors se demander ce qui entraîne l’autre : sont-ce les personnages univoques qui rendent la narration plate ou est-ce ce choix de narration très classique qui rend les personnages si standardisés ? Ou le problème se situe-t-il ailleurs ? On pourrait, donc, poser la question : est-ce que la volonté militante (ici, dénoncer les normes et les rôles sociaux imposés aux femmes) contraint la narration ?

Enfin, on peut, aussi, se demander si cette linéarité narrative vient du fait que le film est tiré d’évènements réels. En effet, les noms et lieux utilisés dans le long-métrage sont les véritables éléments du fait divers montré dans Wicked Little Letters. Ainsi, est-ce cette volonté de représenter le réel qui a abouti sur ces choix narratifs ? On notera la sortie très particulière du producteur du film, Graham Broadbent : « Si quelqu’un débarquait avec l’histoire de deux femmes qui sont voisines et amies, puis s’opposent autour de lettres vénéneuses qui déchirent leur petite communauté, on pourrait trouver cela peu convaincant. Savoir que c’est véridique permet de plonger dans cette histoire, jusque dans ses côtés extrêmes, et d’enquêter sur ce qui s’est vraiment passé. Il y a un ancrage réel, une authenticité, qui permettent de se passionner pour le film »[1]. Ainsi, on nous dit que le film n’est pas bon parce qu’il est bon, mais parce que l’histoire qu’il raconte s’est véritablement passée et qu’elle est incroyable. Or, un film, c’est un film. Utiliser le réel pour raconter une histoire, pour promouvoir un message, c’est une chose, une chose qui a, d’ailleurs, été à l’origine de chef-d’œuvre par dizaines, mais utiliser celui-ci comme preuve de qualité, voire comme argument d’autorité, c’en est une autre. Le vrai n’est pas forcément vraisemblable et le propre de la fiction est d’inventer une histoire qui dépasse le réel, qu’elle s’en inspire ou non, afin de modeler une vision du Monde libérée de toute contrainte.

Il est sans doute plus plausible que l’apathie de Wicked Little Letters ait des causes multiples, un mélange de militantisme pauvre, de volonté trop forte de coller au réel et de peu d’ingéniosité narrative. Il en résulte, donc, un film qui, autant dans sa forme que dans son fond, paraît avoir, au moins, quinze ans de retard, un film vu et revu, dont les personnages sont aussi attendus que l’histoire dans laquelle elles évoluent. En somme : le premier long-métrage de vingt minutes.