À ce qui manque : l’art délicat de mêler autobiographie et spiritualité mortuaire

© Michel Boermans

De Chloé Winkel, avec Delphine de Baere, Thomas Buot, Boris Prager, Fabrice Rodriguez. Du 26 avril au 7 mai 2022 au Théâtre Océan Nord.

La pièce de théâtre prend pour point d’appui un traumatisme d’enfance, celui de la grand-mère russe de la metteuse en scène morte lorsqu’elle avait douze ans. Récit bibliographique, rituels mortuaires et travail de deuil seront les fils rouges du script qui s’appuie principalement sur la répétition d’un repas d’anniversaire.

La salle au mur de pierre et au large plateau d’Océan Nord, est parfaitement conçue pour perpétuer l’écho d’un récit intime. L’enregistrement de la voix de la grand-mère ouvre le premier acte et nous immerge dans une mise en scène ténébreuse où chaque protagoniste est assis en silence autour d’une table. Créant un clair-obscur caravagesque l’éclairage de Rachel Simonin est propice à l’ébauche d’une vanité, amenant tout doucement la thématique de la mort. Le fond sonore d’Antonin Simon marque le rythme et embarque le spectateur dans la sphère de la rêverie. Tout au long de la pièce, la jeune metteuse en scène créé des tableaux-séquences où l’imaginaire pictural des funérailles est dressé : la tête de cochon, le martyr chrétien ou le voile mortuaire permettent aisément d’en tisser le champ lexical visuel. Chacun des éléments vient tracer les contours d’une approche subjective concernant l’intrusion d’un décès et de la manière de le vivre.

Le personnage de Chacha, la grand-mère russe qui décède à plusieurs reprises au cours de la pièce, ne manque pas de charisme : très grande, androgyne, enroulée dans une robe extravagante, elle est interprétée par Fabrice Rodriguez, sa gestuelle désarticulée l’incarne parfaitement et ajoute une touche humour à un texte qui tend plus sur la veine tragique. Les allégories sont centrales dans cette succession de répétitions mi-fictives mi-oniriques où chacun des membres de la famille est intimé de s’asseoir, de souffler des bougies ou de manger un gâteau qui semble avoir le goût de mort au rat. Une approche poétique pour essayer de transmettre un sentiment de manque. L’art de la poésie doit se travailler avec mesure et délicatesse si l’on veut en extraire le substantifique moëlle affectif et ne pas rester en surface.

La classe morte de Tadeusz Kantor, où chaque adulte doit porter la charge de son enfance, L’intruse de Maurice Maeterlinck, théâtre de l’intériorité qui inspire sans doute le personnage du grand-père, sont des références pertinentes et intéressantes pour traiter le thème du deuil sous un angle spirituel. Cependant, Chloé Winkel a du mal à les intégrer à sa mise en scène, inculquant à son texte des concepts philosophiques à coup d’extraits de Lacan ou de Strindberg qui laissent une impression de survol général. L’apparition du chanteur pop ou l’interventions de Jésus Christ, permettent de contrebalancer l’aspect tragique et apporte un peu de légèreté à l’expression d’un sentiment qui se retranscrit de manière trop floue.

Parler de la mort, y apporter des réflexions personnelles et autobiographiques ; il s’agit là d’un projet ambitieux. Si elle ne semble pas manquer d’inspiration, Chloé Winkel ne parvient pas à transcender le spectateur et le laisse dans une posture contemplative. L’intensité émotionnelle – que l’on attend quand il s’agit d’un tel sujet – est inexistante. Si l’idée de répéter un traumatisme au théâtre, de l’extérioriser par voie artistique est séduisante, c’est avec un petit manque de discernement que la metteuse en scène l’aborde. Le surplus de métaphores psychologiques biaise une réception sensible et absorbe une scénographie pourtant réussie. Un premier spectacle sans doute nécessaire lorsqu’on s’exerce au métier de metteuse en scène.