Westworld (Saison 4), Sa Majesté des Mouches

Westworld
(Saison 4)
de Jonathan Nolan et Lisa Joy
Drame, Dystopie, Science-Fiction, Western
Avec Evan Rachel Wood, Thandie Newton, Jeffrey Wright
Sorti en DVD/Blu-Ray le 30 novembre 2022

Alors que la chaîne HBO vient d’annoncer l’arrêt de la série, voilà que la saison 4 de Westworld sort en format physique, comme un chant du cygne à la gloire de l’une des productions les plus brillantes de ces dernières années, malheureusement tuée dans l’œuf.

Les audiences étant en effet en baisse depuis la seconde saison, les hautes instances de Warner Bros auront décidé de débrancher la prise avant même que Jonathan Nolan et Lisa Joy ne puissent apporter une conclusion à leur récit, prévue dans la cinquième saison. Tout en continuant le changement de direction amorcé dans la saison 3, cette saison 4 prolonge ainsi la fascinante intrigue développée depuis 2016, en laissant cependant un goût amer lié à l’annulation de la série.

D’entrée, les références bibliques déjà présentes dans les saisons précédentes seront de retour, offrant au récit un second degré de lecture démarquant Westworld de la multitude.

Ainsi, en lien avec l’exode des Hôtes hors du parc, une référence majeure sera présentée dès le premier épisode par le biais de mouches : « Si tu ne laisses pas partir mon peuple, j’enverrai les mouches venimeuses contre toi, contre tes serviteurs, ton peuple et tes maisons. Les maisons des Égyptiens seront remplies de mouches et le sol en sera couvert » (Exode, 8 : 17).

 

Ces mouches seront rapidement contrôlées par Dolorès/Charlotte (Tessa Thompson), comme une plaie destinée à accabler le monde des humains ayant refusé d’accorder la liberté aux Hôtes.

Mais cette nouvelle saison comporte encore bien d’autres références – et donc bien d’autres indices –, tandis que Bernard (Jeffrey Wright) fera un rêve chargé en symbolique, dans lequel il suivra un cheval blanc dans des scènes de désolation, avant de se retrouver face à un arbre en feu.

Si l’arbre en feu renvoie au buisson ardent – manifestation bien connue de Dieu aux hommes –, sa présence dans Westworld s’apparenterait alors à un message envoyé à Bernard : « J’ai vu, oui, j’ai vu la misère de mon peuple qui est en Égypte, et j’ai entendu ses cris sous les coups des surveillants. Oui, je connais ses souffrances » (Exode, 3 : 7) ; « Maintenant donc, va ! Je t’envoie chez Pharaon : tu feras sortir d’Égypte mon peuple, les fils d’Israël. » (Exode, 3 : 10).

Ainsi, dans son rêve, Bernard sera choisi pour libérer les Hôtes et croisera la route d’un cheval blanc, leitmotiv omniprésent depuis les débuts de la série et renvoyant à l’Apocalypse. Si, dans la saison 2, Clémentine apparaissait déjà sur un équidé symbolisant la conquête, le cheval de la vision de Bernard fera de celui-ci un symbole de justice et un guide pour les Hôtes : « Puis je vis le ciel ouvert, et voici, parut un cheval blanc. Celui qui le montait s’appelle Fidèle et Véritable, et il juge et combat avec justice. Ses yeux étaient comme une flamme de feu ; sur sa tête étaient plusieurs diadèmes ; il avait un nom écrit, que personne ne connaît, si ce n’est lui-même » (Apocalypse, 19 : 11-12).

Au-delà de cela, Bernard prendra conscience de son rôle au sein de la comédie humaine ici jouée, croyant pouvoir sauver ses semblables quitte à se sacrifier, car certain d’avoir vu « les mondes qui auraient pu être et tous les mondes qui pourraient venir ».

En parallèle, Caleb (Aaron Paul) continuera sa route tandis qu’une seconde temporalité montrera le combat mené par sa fille Frankie pour mener la résistance à son terme.

Mais outre ces références, on découvrira encore le Butterfly Club – équivalent du Mariposa Saloon du parc Westworld – localisé dans un nouveau parc, le Golden Age, situé dans l’Amérique des années 20. Référence évidente et répétée à la symbolique du papillon, lépidoptère capable de se métamorphoser ; comme une forme de renaissance à mettre en lien avec l’émancipation des Hôtes.

Ainsi, à travers les quatre saisons de Westworld, les différents protagonistes se seront métamorphosés, devenant tour à tour les instruments d’une apocalypse annoncée puis les prophètes d’un nouveau monde en devenir. Mais toujours en quête de leur liberté. Et là où dans la saison 1, Dolorès s’interrogeait sur sa place dans le monde des androïdes, elle fera ici de même dans le monde des humains. Comme une façon de nous conscientiser quant à nos propres existences.

En prenant pour point de départ des androïdes aux comportements régulés et prévisibles dans sa saison 1, Westworld aura subtilement réussi à parler de nous, en montrant que nos comportements sont aussi facilement anticipables que celui des Hôtes du parc. Ainsi, arrivée dans le monde réel, Dolorès observera les réseaux sociaux et verra à quel point nos vies sont tout aussi cadenassées que ne l’était autrefois la sienne. De « Live, Love, Laugh » à « Aime : musique et voyage » en passant par les photos de brunchs, les guitaristes, les musclés torse-nu ou les filles de dos devant un coucher de soleil, la série nous montre à travers cela à quel point nous ne faisons que reproduire des schémas préétablis et caricaturaux, comme les scénarios que suivaient autrefois les Hôtes.

Westworld réussit par conséquent à faire passer le spectateur d’une position voyeuriste à un questionnement sur sa propre prévisibilité. Alors que dans la saison 1, nous observions des androïdes en quête de liberté, cette saison 4 nous amène à nous demander : « Et si nous n’étions pas différents d’eux ? Que se passerait-il si nous renoncions nous aussi à nos libertés pour le confort d’un scénario préétabli ? ». Ou pour reprendre la métaphore de la caverne de Platon présentée dans notre analyse de la première saison : « Et si nous étions nous-mêmes les prisonniers du monde des ombres !? »

De là, nous pourrions anticiper les enjeux d’une saison 5 qui ne verra peut-être jamais le jour : « Et si en sauvant les hôtes, on sauvait l’Humanité ? ». Westworld serait ainsi parti d’un constat platonicien d’enfermement pour en arriver à une invitation nietzschéenne à la libération : Amor Fati, aimez votre destin et ne cédez pas aux sirènes de l’obéissance servile !

Ainsi, si Westworld aura égaré pas mal de spectateurs en changeant ses cadres, ses atmosphères et son esthétique à partir de la saison 3, elle aura cependant toujours gardé une ligne directrice cohérente et une extraordinaire richesse thématique.

Si cette quatrième saison comporte ses failles, elle témoigne cependant encore de la maestria avec laquelle les équipes créatives ont su nous transporter dans ces univers. Car Westworld est à ranger aux côtés de Twin Peaks, des Soprano, de Boardwalk Empire, de Peaky Blinders et de Game of Thrones, en ce sens qu’elle aura révolutionné l’univers de la série télévisée. Son esthétique, la qualité du jeu de ses acteurs, les mouvements de caméra, la photographie, la musique, la recherche scénaristique, etc. font de l’œuvre de Jonathan Nolan et Lisa Joy une pierre angulaire de la culture télévisuelle actuelle. La sortie physique de cette quatrième saison est l’occasion de célébrer son héritage tout en reprenant tout de zéro pour pouvoir apprécier l’œuvre dans sa globalité. En espérant tout de même une saison 5 !