Trois visages, sur les routes kiarostamiennes

3 visages, extrait

Trois visages

de Jafar Panahi

Drame

Avec Behnaz Jafari, Jafar Panahi, Marziyeh Rezaei, Maedeh Erthegaei, Narges Delaram

Sorti le 8 août 2018

Prix du scénario à Cannes en mai dernier, Trois visages avait aussi et surtout fait parler de lui – en dehors de considérations purement filmiques ou cinématographiques – par la situation politique de son réalisateur Jafar Panahi, auquel il est toujours interdit de quitter les frontières de l’Iran, et qui n’avait dès lors pas pu venir défendre son film en compétition au festival. Après vision du film et en ayant en tête qu’il fut récompensé pour son scénario, ce prix apparaît surtout comme un lot de consolation, tant il s’agit beaucoup plus d’un film de mise en scène que de scénario.

Lorsqu’elle reçoit par mail la vidéo d’une jeune femme l’implorant de l’aider avant de se suicider devant la caméra, l’actrice Behnaz Jafari (dans son propre rôle) est bouleversée et se lance dans un périple jusque dans un village perdu au milieu des montagnes du Nord-Ouest, pour retrouver la trace de la jeune femme de la vidéo. Elle entraîne avec lui son mentor et ami, le réalisateur Jafar Panahi (idem), qui la conduit jusque-là. Mais ce qu’ils vont découvrir sur place remettra en question ce qui se trouvait sur cette vidéo.

Limité dans ses libertés de citoyen, Jafar Panahi l’est également toujours dans l’exercice de son métier de cinéaste, devant sacrifier à certaines contraintes de filmage et de production dictées par le gouvernement iranien. Ainsi, ses derniers films – celui-ci dans une moindre mesure que les deux précédents – doivent aussi être vus à l’aune de ces contraintes, lesquelles sont le plus souvent détournées par le cinéaste, qui les transforme en véritable force et en moteur du concept qu’il développe, de son parti pris de mise en scène.

Dans Trois Visages tout comme dans les deux films précédents – Ceci n’est pas un film et Taxi Teheran – le réalisateur joue son propre rôle et se met en scène comme intermédiaire visuel entre la réalité et la fiction. Il est en quelque sorte l’élément-clé qui brouille constamment les pistes et insinue le doute dans l’esprit du spectateur quant à la dimension strictement documentaire ou strictement fictionnelle de ce qu’il est en train de voir.

Cette donnée à elle seule constitue déjà une grande partie de l’intérêt du cinéma – tel qu’il est actuellement, dans ces conditions-là – de Panahi. Tout ce qui a été beaucoup relevé par les analystes et autres critiques sur ce film en particulier, à savoir la parabole sur la figure de l’actrice dans la société iranienne, ou encore l’hommage très appuyé de Panahi à son « père » de cinéma, Abbas Kiarostami, apparaît dès lors comme nettement moins fort, ou en tout cas moins spécifique et personnel à Panahi en tant qu’auteur unique.

Concernant l’hommage à Kiarostami en particulier, on pourrait légitimement se poser la question de l’utilité et de la pertinence de voir aujourd’hui réaliser un film de Kiarostami, reprenant tous ses thèmes, ses obsessions, sa manière de filmer, et qui ne serait en réalité pas un film de Kiarostami mais bel et bien un film de Panahi, son ancien assistant. Car c’est un peu ce qu’est Trois Visages : un très bon Kiarostami réalisé par Panahi. Cette idée de continuation visuelle et thématique est-elle vraiment bénéfique à une persistance ou à une évolution du cinéma d’auteur ? La question, déjà abordée maintes fois dans l’histoire du cinéma – à travers le cas de Brian De Palma comme continuateur d’Alfred Hitchcock, par exemple – reste donc posée, plus que jamais.