« The Old Oak », toujours debout

The Old Oak
de Ken Loach
Drame
Avec Dave Turner, Ebla Mari, Claire Rodgerson
Sortie le 25 octobre 2023

L’arrivée d’un groupe de réfugiés syriens dans une petite ville ouvrière du Nord-Est de l’Angleterre va diviser la communauté de ses habitants, et révéler la souffrance d’une population sacrifiée sur l’autel du capitalisme. Un Ken Loach limpide, émouvant, dans la droite lignée de ses films précédents.

Après s’être attaqué au marché de l’emploi (Moi, Daniel Blake), puis à l’uberisation du travail (Sorry We Missed You), Ken Loach poursuit son exploration des populations sacrifiées par le capitalisme sauvage. Ici, son récit s’organise autour de The Old Oak, pub vétuste et lieu de rassemblement des habitants d’une ville minière du nord de l’Angleterre, tenu à bout de bras par TJ Ballantyne, gérant solitaire et désenchanté. L’arrivée d’un groupe de réfugiés syriens dans le village va faire naître des tensions dans la communauté, exacerbées par l’amitié naissante entre TJ et Yara. Ensemble, ils s’investiront dans la création d’une cantine solidaire, animés par l’espoir de rassembler les plus démunis par delà leurs origines.

A bientôt 90 ans, Ken Loach continue de bâtir sans relâche des fictions comme autant d’abris pour les laissés-pour-comptes et les déclassés, habité d’une foi indéfectible en l’être humain qui impose le respect. The Old Oak ne déroge en rien au programme du cinéaste britannique et va dénouer, par un récit d’une grande limpidité, les liens qui entravent aussi bien les classes ouvrières que les réfugiés de guerre, tenus par les mains d’un ennemi commun et globalisé : le capitalisme. Paradoxalement, c’est à cet endroit que le film est le moins convaincant, lorsque l’on croit entendre de la bouche des personnages des discours trop écrits, articulés et politisés, en rupture avec leur condition d’êtres de fiction. Le réalisateur surligne par endroits inutilement son propos, à l’image des légendes accompagnant les photos de mineurs qui ornent les murs du bar, verrouillant un peu trop fermement le sens de l’histoire qui s’écrit sous nos yeux : « When we eat together, we stick together », « They shall not starve », etc.

Néanmoins, The Old Oak réussit pleinement à émouvoir, notamment dans sa manière de croquer des personnages complexes et attachants, y compris les habitués du pub pourtant racistes, traîtres et réactionnaires. Au travers des liens qui unissent les membres de cette collectivité, Loach parvient à susciter l’empathie pour chacun d’entre-eux et révèle habilement comment les souffrances individuelles finissent englouties dans un magma putride de misère et de haine. Vrai contrepoint solaire, l’amitié qui naît entre TJ et Yara est filmée avec une grande simplicité et à bonne distance par le réalisateur, qui se contente d’observer les petits gestes trahissant leur complicité. En cinéaste « social », au sens noble du terme, Ken Loach n’oublie cependant jamais d’élargir son point de vue de l’individuel au collectif, du local au global, voire même, étonnamment, de l’humain à l’animal (un très bel arc narratif est consacré au chien de TJ). Finalement, c’est peut-être Loach lui-même le vieux chêne du titre, cet arbre vieillissant perdu au milieu d’un paysage d’images de synthèse franchisées ad nauseam, dernier garant d’un cinéma militant de gauche dont la fragilité émeut autant qu’elle force l’admiration.