« Regardez-nous danser », la grande hypocrisie

Titre : Regardez-nous danser – Le pays des autres 2
Autrice : Leïla Slimani
Editions : Folio
Date de parution : 4 mai 2023
Genre : Roman

Regardez-nous danser, Le pays des autres 2 raconte la suite des aventures de la famille Belhaj, qu’on avait laissée profiter des vacances et du bon temps, avant « la grande nuit ». Alors qu’Amine et Mathilde sont devenus des personnes respectables, à fréquenter, leurs enfants et leurs fréquentations grandissent dans le Maroc de la fin des années 60. Aïcha n’est que de passage, revenant de quelques semaines d’Alsace où elle étudie la médecine, tandis que Selim se cherche face à l’ombre de sa sœur qu’il pense écrasante.

C’est l’histoire d’une famille confrontée à l’embourgeoisement d’une société marocaine postcoloniale, qui se cherche et tente de trouver de nouveaux repères, une stabilité, même autoritaire, alors que le portrait d’Hassan II trône maintenant dans le bureau du patriarche, dans l’espoir qu’une politique agraire investira bientôt le pays, en mettant en avant la force de la paysannerie.

Leïla Slimani nous raconte donc la société marocaine en plein changement, à travers une variété de personnages qui ont tous droit au chapitre, une voix à faire entendre (alors que Dragan et Corinne, amis des Belhaj, perdent de leur importance). C’est la grande force ainsi que la faiblesse du livre, comme cela l’était déjà un peu du premier : si la diversité des points de vue sur les mêmes événements est très riche à lire, l’éparpillement fait craindre une certaine distance émotionnelle, et un léger ennui poindre. La famille nucléaire s’élargit, grandit, se confronte aux années 60, en étant remplacée par des personnages secondaires dans la narration. L’intime se disperse dans les dédales des villes marocaines et des vagues qui s’écrasent sur les plages investies par les hippies, descriptions qui prennent ici une large place.

L’autrice est très douée pour raconter une époque, de manière presque sociologique mais sans en avoir l’air, de la bouche de ses personnages, qui sont chacun très complexes. De même que dans Chanson douce, hommes et femmes évoluent ici avec leur temps, leurs actes ne correspondent pas toujours à leurs désirs profonds. C’est sur les gestes concrets, la circulation des mouvements et la façon de voir les villes marocaines changer, bien plus que sur la psychologie, que l’écrivaine insiste.

Leïla Slimani réussit également à montrer de manière brillante l’hypocrisie qui règne dans cette société marocaine, comme si les deux romans de cette saga était la version fictionnelle de son essai publié en 2017, « Sexe et mensonges. La vie sexuelle au Maroc ». Les artifices permanents avec lesquels les personnages doivent vivre, de par leur genre, leur sexualité, leur religion, leur classe rendent compte d’un malaise ambiant, et d’une vie passée à cacher ses vrais sentiments, à camoufler ses actes, par peur constante de ce que les proches et la société en penseraient.