Coca de Frédéric Faux

coca frederic faux couverture

auteur : Frédéric Faux
édition : Actes Sud
sortie : février 2015
genre : enquête

Nombreux sont les consommateurs de cocaïne, plus nombreux encore sont les buveurs de Coca-Cola, mais peu sont ceux qui connaissent la réalité sulfureuse de la petite feuille andine à l’origine de ces produits. Open consciousness…

Avec Coca, le journaliste Frédéric Faux retrace l’histoire de la plante sud-américaine : son utilisation sous les Incas, sa diabolisation puis sa commercialisation par les colons espagnols et, dans la deuxième moitié du XIXème siècle, sa grande entrée en Europe sous la forme de la cocaïne. La poudre blanche est initialement un remède miracle prisé qui trouve sa place dans toutes sortes de produits pharmaceutiques ou stimulants. Les anecdotes que nous livre Faux paraissent folles. Considéré comme le premier cocaïnomane, Sigmund Freud vante les vertus du stupéfiant en 1884 dans Über Coca, tandis que Conan Doyle en fournit volontiers à son célèbre détective : « Sherlock Holmes prit la bouteille au coin de la cheminée, puis sortit la seringue hypodermique de son étui de cuir. Ses longs doigts pâles et nerveux préparèrent l’aiguille avant de relever la manche gauche de sa chemise. Un instant, son regard pensif s’arrêta sur le réseau veineux de l’avant-bras criblé d’innombrables traces de piqûres. Puis il y enfonça l’aiguille avec précision, injecta le liquide et se cala dans le fauteuil de velours en poussant un long soupir de satisfaction » (p.43). C’est également l’époque du vin Mariani, le prédécesseur alcoolisé du Coca-Cola, avant que la prohibition ne donne l’idée à un pharmacien d’Atlanta, un certain John S. Pemberton, de modifier la recette et de créer ce qui deviendra le Coca-Cola.

Cependant, le livre de Faux se concentre sur un aspect plus connu de la cocaïne : sa répression au XXème siècle. Les Etats-Unis sont les premiers à se lancer dans la lutte anti-drogue. Dès les années 50, les Nations-Unies amalgament et condamnent la plante coca, partie intégrante de la culture andine, et la stupéfiante cocaïne. C’est finit de rigoler : Sherlock entre en désintox et Coca se « décocaïnise ». En 1961, sort la Convention unique sur les stupéfiants des Nations-Unies : la guerre à la poudre blanche est déclarée. Mais qui dit prohibition dit explosion du commerce illégal et depuis des décennies, les pays sud-américains n’ont cessé de se passer le relais du trafic (Chili, Colombie, Pérou, Bolivie) tandis que de nouveaux lieux de transit (l’Afrique de l’Ouest) et de marchés (l’Afrique, la Chine, l’Inde) fleurissent avec la mondialisation.

L’ouvrage de Faux est complet et complexe : la multitude de chiffres, de dates et de zones géographiques qui y sont citées est conséquente et rend parfois la lecture fastidieuse. Heureusement, pour naviguer dans cette jungle d’informations, le livre propose une petite carte d’Amérique du Sud, un glossaire et une chronologie. De nombreux encadrés apportent des précisions historiques, politiques ou scientifiques, tandis que des photos en noir et blanc illustrent les propos. Mais Faux sait aussi ménager son lecteur avec des témoignages, des descriptions plus romanesques et des chapitres captivants comme celui sur les « mules aux yeux bleus », ces Occidentaux qui croupissent dans les prisons péruviennes pour trafic, ou celui sur Pablo Escobar, le célèbre baron colombien de la drogue. Frédéric Faux flirte également avec le reportage écrit et nous emmène « sur le terrain ». Il nous fait découvrir la vie des cocaleros dans les Yungas boliviens et nous explique l’enjeu de la coca dans le Chapare d’où est issu le président bolivien Evo Morales, champion de la dépénalisation de la coca ; il nous découvre la réalité des mineurs de l’Altiplano et nous confronte à l’instabilité de la région du Vraem au Pérou, un exemple parmi d’autres de zones déstabilisées par la cocaïne. Comme souvent, les consommateurs d’ici ignorent (ou font en sorte d’ignorer) la misère qu’ils financent là-bas. Partial, Faux dénonce les incohérences de la lutte anti-coca pour endiguer « l’épidémie » de cocaïne : qu’il s’agisse de la fumigation aérienne en Colombie par les Américains ou des dessous de la gestion sociale soutenue par l’Europe.

Finalement, le jonglage avec les statistiques ne peut masquer le fait que la cocaïne s’est profondément infiltrée dans les sociétés et a à tout jamais entaché la réputation de la coca. Cette drogue charrie avec elle des montants d’argent mirobolants et engendre de la corruption à tous les étages, comme le prouve le très récent scandale qui éclabousse la DEA [1] dont les agents auraient participé à des parties « fines » organisées par des cartels colombiens. Face à cet échec cuisant de la lutte anti-drogue, les mentalités changent. Désormais, tous les regards sont tournés vers la prochaine assemblée de l’ONU en 2016 où, comme Faux le souligne, l’enjeu est désormais de voir la légalisation et la régulation prendre le pas sur la répression.

[1] La Drug Enforcement Administration (DEA) est le service de police fédéral américain chargé de la mise en application de la loi sur les stupéfiants et de la lutte contre leur trafic dans le cadre de la campagne des Etats-Unis contre la toxicomanie.

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