[L’instant VHS] Une histoire vraie de David Lynch

Il est toujours là. Le Grand, le Beau, l’Excellentissime, L’instant VHS ! Il est même essentiel en cette période d’emmerdement permanent chez soi. C’est toujours le bonheur de reparler d’un film plus ancien, souvent culte, parfois oublié mais toujours intéressant à revoir. Si vous êtes vieux et que le dernier film que vous avez accepté de voir est Cléopâtre avec Elisabeth Taylor, si vous êtes trop jeunes et que pour vous le cinéma a commencé avec Harry Potter et Twilight, si vous êtes de la même génération que l’auteur et que vous souhaitez revoir ces films cultes qu’on oublie parfois, cette rubrique est faite pour vous. Sinon, vous pouvez toujours vous amusez à compter le nombre de pâtes ou de feuilles de PQ que vous possédez.

A Laurens, dans l’Iowa, Alvin n’est pas à l’heure au rendez-vous quotidien au bar du coin. Un ami se rend alors chez lui et le retrouve par terre. Sa fille, Rose, légèrement retardée, l’oblige à aller consulter un médecin qui lui prescrit plusieurs recommandations qu’il refuse en bloc. Un soir d’orage, un coup de fil retentit. L’appel vient du Wisconsin où vit Lyle, son frère, qu’il n’a plus vu depuis 10 ans suite à une dispute violente. Il décide de lui rendre visite en traversant les 240 miles les séparant au moyen d’un micro-tracteur tondeuse à gazon, tractant une remorque avec tout le nécessaire du voyage. Tout au long de son périple, il va rencontrer plusieurs personnes qui vont le faire réfléchir sur le temps passé et le temps qu’il a encore à vivre. 

(Pour vous mettre dans l’ambiance du film pendant la lecture, n’hésitez pas à lancer la bande originale)

David Lynch est connu pour des films surréalistes, expérimentaux et parfois difficiles d’accès comme Blue Velvet, Lost Highay, Mulholland Drive ou encore Twin Peaks. Et pourtant en 1999, Lynch débarque sur la Croisette avec un film qui semble jurer avec le reste de sa filmographie : Une histoire vraie. Un de ces films les plus accessibles à tous (avec peut-être Elephant Man) de par sa simplicité et son absence d’artifices et de complexité dans le scénario. Mais accessible à tous ne veut pas dire facile car Une histoire vraie est un film lent, très lent, aussi lent que les 8km/h de la fameuse tondeuse. Inspiré par une charmante personne partageant mon goût pour ce film, il n’y a plus qu’à sortir le DVD pour (re)découvrir ce film.

Mais quel intérêt de regarder un film lent ? Devons-nous suivre les (rares) avis négatifs que l’on trouve sur le net catégorisant le film de soporifique ? Avez-vous déjà peur d’affronter un film contemplatif et chiant ? C’est pourtant tout l’inverse qui se produit car il ne faut pas oublier trois points importants : une histoire réelle captivante ; un réalisateur talentueux qui sublime cette histoire et les paysages du Midwest américain ; un acteur, Richard Farnsworth, époustouflant.

L’histoire

C’est en 1994 qu’Alvin Straight a réellement parcouru ces 386 kilomètres qui le séparait de son frère mourant. Il a opté pour cette tondeuse car ne voyant plus très bien, il n’avait plus la possibilité d’avoir son permis de conduire et d’y aller en voiture. A la place d’une journée de route, il a pris 6 semaines pour rouler de Laurens en Iowa jusqu’à Blue River dans le Wisconsin. Si le film s’arrête à la fin de la quête, l’histoire n’est pas tout à fait terminée. Alvin a été ensuite ramené en camionnette par un de ses neveux et plus tard, le frère d’Alvin, rétabli, a décidé de retourner en Iowa au plus proche de sa famille. Alvin, quant à lui, a retenté un nouveau voyage en tondeuse durant la dernière année de sa vie mais il n’arriva pas au bout, à cause du froid.

La réalisation

Ce n’est qu’en 1999 que David Lynch se lance dans le projet grâce à sa femme (Mary Sweeney) qui a eu vent de l’histoire et qui en a tiré un scénario. S’il laisse sa patte d’auteur en retrait au profit de l’histoire et du personnage, Lynch n’oublie de faire un film à part des autres. Tout dans ce film est ralenti et plonge le spectateur dans le sillage du héros. Le réalisateur prend tout le temps de suivre les faits et gestes d’Alvin sans se soucier du rythme de l’histoire, envole la caméra comme pour réaliser une ellipse avant de revenir sur une tondeuse qui n’a finalement que peu bougé, fait prendre conscience du long chemin parcouru tout le long grâce à cette éternelle ligne jaune qui sépare les deux côtés de la route ou encore s’attarde sur les différentes rencontres qu’Alvin fera pendant son voyage. Cette inversion des habitudes cinématographiques (qui veut toujours aller plus vite, plus fort, plus rythmé) et la simplicité des interactions sociales du héros (on parle peu mais ça rend les mots utilisés d’autant plus fort) réussit à symboliser encore autre chose qu’un road movie : le temps qui passe, une réflexion sur l’âge, sur ce que l’on a vécu et sur ce qu’il reste encore à vivre. Pour couronner le tout, il ne se laisse pas prendre au piège de la fin trop facile et pleine de violons et se permet une scène brute mais pourtant parfaite.

L’acteur

Enfin, ce qui arrive à capter le spectateur pendant presque deux heures, c’est aussi la performance inouïe de Richard Farnsworth. Ce cascadeur et second couteau du western hollywoodien vit littéralement le propos du film sur la vieillesse (il a 79 ans au moment du tournage), lui-même déjà atteint d’un cancer au moment du tournage (il décidera de se suicider avant son déclin, peu après). Son visage, qui a tant vécu, fait transparaitre un nombre incalculables d’émotions et permet au film de crédibiliser son propos et de réussir le trio gagnant (histoire, réalisation, interprétation) propre aux chefs-d’oeuvre. Pourtant, que ce soit au Festival de Cannes ou aux Oscars, sa prestation a été snobée au profit d’un acteur amateur oublié depuis (Emmanuel Schotté dans le film L’humanité de Bruno Dumont) et d’un acteur de génie qui a ensuite connu le déshonneur (Kevin Spacey pour American Beauty de Sam Mendes).

Finalement, Une histoire vraie arrive par sa lenteur à proposer une oeuvre simple et émouvante grâce à une lenteur à l’opposé des standards cinématographiques. Une lenteur qui donne toute son originalité à un film de David Lynch pourtant bien loin de ses folies habituelles. Sa réflexion sur l’âge, le temps qui passe et sur les choses importantes quand on perçoit plus le temps qu’il nous reste à vivre plutôt que ce que l’on a déjà vécu, rend le film intemporel. C’est un film à regarder à plusieurs âges de sa vie, le message prenant à chaque fois un sens différent.

Pour apprendre quelque chose d’intéressant :

La traduction française est un peu simpliste et gâche un peu les multiples lectures du titre original : The Straight Story. « Straight » étant le nom du héros mais aussi un adjectif anglophone signifiant « tout droit », « linéaire », « honnête », « simple », etc.

Juste pour pas mourir idiot : 

Ce film est aussi une histoire de « famille ». Le scénario est écrit par la propre femme et collaboratrice historique de David Lynch, Marie Sweeney, qui produit aussi le film. La musique originale est d’Angelo Badalamenti et la photo est de Freddie Francis, tous les deux collaborateurs attitrés de Lynch. Plusieurs acteurs sont des fidèles du réalisateur comme Harry Dean Stanton ou Everett McGill. Sissi Spacek qui joue la fille du personnage principal n’est pas non plus là par hasard : c’est la femme de Jack Fisk, le chef décorateur du film.

A propos Loïc Smars 484 Articles
Fondateur et rédacteur en chef du Suricate Magazine