« L’Eté dernier », noire est l’abîme

L’Eté dernier
de Catherine Breillat
Thriller, Drame
Avec Léa Drucker, Samuel Kircher, Olivier Rabourdin
Sortie le 11 octobre 2023

Avocate spécialisée dans les violences sur mineurs, Anne entame une liaison avec Théo, 17 ans et fils d’un précédent mariage de son époux. Lorsque leur secret est révélé, elle nie. Prenant cette histoire d’inceste pour point de départ, Catherine Breillat sonde la noirceur de son personnage féminin et mène une réflexion passionnante sur le mariage.

« Le vertige c’est pas la peur de tomber, c’est la peur de la tentation irrésistible de la chute ». Lorsqu’Anne prononce ces mots à Théo, son beau-fils adolescent, qui essaie de lui soutirer des confidences, le pêché charnel qui les liera jusqu’à la fin du film est déjà consommé. Sans que le jeune homme ne s’en aperçoive, elle vient pourtant de lui dévoiler l’abîme de noirceur qu’elle abrite en son sein – soit un appétit pour le danger – et qui précipitera leur chute du jardin d’Eden. Car le personnage interprété par Léa Drucker sait en réalité très bien ce qu’il fait : avocate spécialisée dans les violences sexuelles sur mineurs, la relation incestueuse à laquelle elle s’abandonne n’est en aucun cas le signe d’une perte de contrôle.

Pour autant, cette mère de famille bourgeoise n’est pas non plus une prédatrice, car les sentiments qui la dévorent sont sincères et, qui plus est, partagés. Loin d’un rapport de domination adulte-enfant, le rapprochement des deux amants a pour effet d’abolir leur différence d’âge. Filmé par Catherine Breillat comme un ange de la Renaissance italienne, le personnage interprété par Samuel Kirch inonde sa belle-mère de sa lumière céleste pour la ramener au temps de sa jeunesse. Leur idylle prend alors une dimension mythologique, notamment dans les scènes d’amour, posées et lumineuses, évoquant l’extase divine des peintures du Caravage. Réciproquement, c’est au contact d’Anne que Théo s’affranchira de la prison qu’est son adolescence, avant d’y être finalement violemment rejeté, lorsque leur secret éclatera au grand jour.

C’est lors de ce tournant que le film révèle son cœur secret : plutôt qu’un commentaire moral sur l’inceste, c’est la part sombre de son personnage principal qui semble passionner la cinéaste. Le basculement intervient lors d’un gros plan sidérant sur le visage impassible de Léa Drucker qui, face à son mari qui la confronte à sa faute, se pare d’un masque. Niant en bloc l’évidence, elle parvient en un tour de force à retourner la situation à son avantage, condamnant du même coup son jeune amant à porter seul et contre tous le poids de leur culpabilité. Soulignons-ici le talent du trop rare Olivier Rabourdin, bouleversant de fragilité dans une scène où, tourmenté par le doute, son visage maculé de larmes trouve refuge dans l’étreinte de son épouse. Comme souvent chez Breillat, tout manichéisme est évacué des personnages au profit d’un regard infiniment bienveillant sur tout ce qui leur échappe et fonde finalement leur humanité. Ici, Anne est présentée tour à tour comme une mère aimante, une épouse comblée quoiqu’éprouvée par la routine, une amante passionnée, et une manipulatrice méthodique prête à trahir son complice au nom de l’harmonie familiale. Ce regard englobant trouve un aboutissement dans le dernier plan du film – un lent et vertigineux fondu au noir – qui fait vaciller les certitudes en produisant l’image inédite du mariage pour ce qu’il est : un arrangement curieux, duquel on s’accommode, comme d’une vérité qui nous dérange et qu’il nous est plus confortable d’ignorer.