« Des Corps et des Batailles », n’oublie jamais ton Dieu (ni ton hôpital)

Des Corps et des Batailles
de Christophe Hermans
Documentaire
Sortie le 11 octobre 2023

Octobre-Décembre 2020. Christophe Hermans décide de vivre le deuxième confinement au cœur de l’action : au CHU de Liège, là où les infirmiers, les infirmières, les médecins soignent, rongent leur frein, vivent la mort et la pandémie de plein fouet. Le documentaire retrace donc ces 3 mois, ou du moins une toute petite partie, en 72 minutes, passant de l’équipe aux patients, aux patientes, captant l’institution fébrile.

Si décider de se plonger dans l’actualité peut faire sens sur le moment, la question de l’intérêt futur du sujet reste toujours un point d’interrogation, quand l’œuvre sera montrée au public. La pandémie COVID était à l’époque partout, tout le temps, dans toutes les conversations, sur toutes les lèvres. Le temps du montage demande de la patience, du travail au long cours. Est-ce intéressant de regarder ce film-là, aujourd’hui, alors qu’on peut avoir l’impression d’avoir vécu un trop plein d’images, de sons, de mots, durant ces années 2020-2021 ? N’avons-nous pas déjà tout vu, tout entendu, sur le sujet ?

Le réalisateur décide de s’intéresser principalement à deux infirmières et un patient, et c’est durant ces instants-là que le film se fait le plus fort, en suivant des parcours de vie individuels. Quand la caméra filme les réunions, essayant de capter le pouls d’un hôpital à deux doigts de rompre, on distingue parfois mal la différence entre un documentaire « cinéma » d’un reportage télévisuel. Comme si c’était compliqué de trouver une place, d’instaurer un cadre, dans cette opération « de guerre » qui se met en place. Vient aussi la question du sens de l’image, peut-être. Que recherche-t-on ? La « beauté » des plans n’est en tout cas pas ici une priorité. Les visages sont en berne, les yeux repliés vers les masques qui obstruent.

Pour répondre à la question initiale, avons-nous déjà tout vu sur la question, la réponse peut être mitigée. Ces débats sur le nombre de lits insuffisants, le jargon des médecins, les masques partout, les appareils pour pouvoir respirer, les bâtonnets à s’enfiler dans le nez, tout ça, « on » connaît. Là où le film parle encore, interroge, c’est en questionnant le « on », en laissant la parole à ces travailleuses qui sont écœurées de la réaction de certaines personnes, sur les réseaux sociaux notamment, qui en viennent à nier la réalité, la survie, la fatigue, les pleurs, la mort. Durant le premier confinement, on avait eu un sursaut d’espoir, dira une, mais c’est au second confinement qu’elle a perdu tout espoir en l’humanité.

Des Corps et des Batailles existe, et prouve que ça a existé, cet espace-temps un peu fou, comme les camps de la mort, toute proportion gardée. Si la sortie du film est peut-être trop prématurée, si nous n’avons pas encore digéré ce temps épuisant de la pandémie, c’est un documentaire qui a le mérite de donner la parole aux personnes qui ont continué de se battre, malgré la dégradation des conditions de travail dans le domaine des soins de santé et le manque permanent. C’est un documentaire qui touche, émeut, rend hommage : nous n’oublions pas le sourire et la bravoure de Frédéric Marie, le patient au centre du film, un parmi d’autres, mais pas n’importe qui.