Les Philanthropes aux poches percées, un roman socialiste à (re)découvrir en BD

Extrait du roman graphique « Les Philanthropes aux poches percées » (Delcourt, 2023)

Couverture du roman graphique « Les Philanthropes aux poches percées » (Delcourt, 2023)

Scénario et dessin : Scarlett et Sophie Rickard
D’après l’œuvre de : Robert Tressell
Éditeur : Delcourt
Sortie : 5 avril 2023
Genre : Roman graphique, Histoire, Littérature


Les Philanthropes aux poches percées est une bande dessinée dense (350 pages) et graphiquement très soignée qui s’inspire d’un classique de la littérature prolétarienne, le roman posthume de l’auteur irlandais Robert Tressell du même titre. À travers l’histoire d’un groupe d’ouvriers qualifiés, peintres en bâtiment, l’ouvrage dénonce les excès du capitalisme à l’aube du XXe siècle et souligne les nombreux obstacles à l’émancipation des classes populaires.

Une œuvre complexe

Les autrices et dessinatrices Scarlett et Sophie Rickard n’ont pas choisi la facilité en s’attelant à l’adaptation en BD des Philanthropes aux poches percées (The Ragged Trousered Philanthropists  pour le titre original en anglais). Cette œuvre publiée peu après la mort de l’auteur en 1911 est assez peu connue aujourd’hui dans le monde francophone. Elle est à la fois un roman social sur la condition ouvrière, un essai philosophique sur les ressorts du capitalisme, et une autofiction, les personnages étant largement inspirés par l’expérience personnelle de l’auteur, comme l’explique la postface.

Pour relever ce défi et rendre l’ouvrage accessible aux lecteurs d’aujourd’hui, les autrices-dessinatrices ont choisi la forme d’un roman graphique très structuré, reprenant les 23 chapitres du roman, et accordant une large place aux dialogues, pour rendre le propos aussi didactique que possible. Les dessins aux traits nets et pleins mettent l’accent sur les interactions entre les personnages. Quelques cases avec des plans aériens – assez inhabituels dans ce genre de BD – soulignent l’exiguïté des lieux dans lesquels les ouvriers se retrouvent pour discuter.

Une dénonciation du capitalisme

S’il s’agit bien d’une œuvre de fiction, le propos des Philanthropes aux poches percées est éminemment politique. L’histoire personnelle des ouvriers sert à illustrer la condition ouvrière au début du XXe siècle et les pratiques douteuses des certains nantis, incarnés ici par les membres du conseil municipal de Mugsborough. L’originalité de l’œuvre tient au fait qu’elle donne la parole aux ouvriers, s’intéressant à leurs dissensions et à leurs contradictions, comme autant d’obstacles à leur émancipation. Conservateurs, libéraux ou socialistes, ces hommes discutent de leur sort pendant le casse-croûte quotidien, alors qu’ils rénovent des maisons pour le compte de M. Rushton.

Si une bonne partie du propos paraît daté aujourd’hui (socialisme utopique, absence des femmes dans le débat politique, etc.), c’est précisément cette plongée dans les discours de l’époque qui rend le livre intéressant. Les différents contre-arguments apportés par le personnage principal , l’ouvrier socialiste Owen, en réponse aux objections de ses camarades de chantier, servent à comprendre le processus de prise de conscience des classes populaires de l’injustice sociale dont elles sont victimes.

L’utilisation de caractères gras pour souligner les mots clés dans plusieurs bulles sert à renforcer cet effort didactique. Le récit donne à voir comment les classes dirigeantes sont longtemps parvenues à manipuler l’opinion publique en répandant de fausses informations sur les causes de la pauvreté (la paresse, l’alcool, etc.), et comment les travailleurs qualifiés comme les peintres en bâtiment ont repris à leur compte le discours dominant pour stigmatiser les chômeurs et les ouvriers moins qualifiés.

Un ouvrage qui ravira les amateurs de l’histoire des idées aux XIXe et XXe siècles qui n’ont pas le courage de se plonger dans le roman original.

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