« Je verrai toujours vos visages », une ode au temps et à l’espace pour (se) réparer

Je verrai toujours vos visages
de Jeanne Herry
Drame
Avec Adèle Exarchopoulos, Dali Benssalah, Leïla Bekhti
Sorti le 5 avril 2023

Je verrai toujours vos visages aborde le sujet de la justice restaurative. Celle-ci consiste à mettre en lien des auteurs et des victimes d’un même type d’infraction, à travers des dispositifs individuels ou collectifs. Des médiateurs et médiatrices encadrent ce processus, qui s’étend sur plusieurs mois. Les visages dont il est question sont ceux de Grégoire, de Nawelle et de Sabine que Nassim, détenu et auteur d’un homejacking, gardera en mémoire lorsqu’il sera éventuellement tenté de recommencer. Les premiers ont été victimes de vol ou de braquage et ont intégré un groupe de parole en prison à ce titre. Nous assisterons aux différentes étapes de leur cheminement. En parallèle, nous suivrons aussi celui de Chloé, victime de viols incestueux et engagée dans une démarche de médiation avec son frère. Les deux seront assistés par Judith, une juriste formée à la procédure, quand Fanny et Michel accompagneront le travail en groupe.

Je verrai toujours vos visages propose une démarche présentée comme à contrepied de celle qui semble primer aujourd’hui, c’est-à-dire une grille de lecture où les étiquettes de « coupable » et de « victime » définissent et figent les individus concernés. Le film décrit le besoin des victimes de comprendre les motivations et le point de vue des coupables qui ont été condamnés par la justice. Certaines révélations soulagent des années de souffrance. Il met aussi en lumière la nécessité pour les coupables d’entendre les conséquences à long terme de leurs actes -qui n’ont pourtant duré que quelques minutes- sur les victimes et leurs proches et qu’ils ignorent souvent. Sans les excuser, il rappelle aussi les conditions sociales qui fournissent un terreau propice aux délits et aux crimes, comme certains traumatismes d’enfance qui n’ont parfois jamais été conscientisés.

La thèse du film est formulée dès les premières minutes : « La justice restaurative, c’est un sport de combat ». Il s’achèvera sur ses mêmes mots. Si la formule du sociologue Pierre Bourdieu fait sens ici, c’est en raison de sa propension à dire la part de travail et d’investissement personnel que demande la justice restaurative. Il met aussi à l’honneur des citoyens et citoyennes impliqués, qui viennent d’horizons professionnels divers et sont souvent retraités et bénévoles. Leur maladresse, à certains moments, les rend touchants et humains. C’est sûrement là le message principal du film : c’est l’humanité qui nous répare, et cette réparation peut se faire si et seulement si on lui accorde du temps, de l’espace et une écoute silencieuse. Pour autant, l’approche n’est pas naïve mais apparaît même comme libératrice à certains égards : il n’existe pas de « victime type » dans la mesure où la façon de réagir comme les émotions ressenties -ou non- sont propres à chacun et chacune. De même, si un processus de médiation est engagé entre une victime et un auteur, la première n’obtiendra pas forcément les réponses qu’elle souhaite. Pour autant, une transformation se sera enclenchée dans sa vie et l’aidera à continuer à avancer.