Les idolâtres : Sfar en auto-dissection

Scénario : Joann Sfar
Dessin : Joann Sfar
Éditeur : Dargaud
Sortie : 26 janvier 2024
Genre : Roman graphique

En 2022, on s’étonnait de voir l’imagination de Joann Sfar mis à contribution d’un projet autobiographique. Et nous voilà, deux ans plus tard, avec le second volume chez tous les libraires. L’heure du bilan a sonnée pour le père du Petit Vampire. Il s’y atèle. Le tout, en suivant non pas une logique chronologique comme il est de coutume, mais une logique thématique. Le deuxième tome n’est donc pas la suite cohérente du premier. Pire. Comme le Yin et le Yang, ils s’opposent autant qu’ils se complètent. La Synagogue était lourde, débordant de la présence d’un père rigoureux autant dans sa piété que dans son travail d’avocat. Alors que, Les Idolâtres est aérien. Son sujet est l’amour du dessin qui est pour l’auteur une manière de connecter avec sa mère artiste, partie trop tôt.

La place de la mère

L’idolâtrie du titre semble être le terme qui représente le mieux la relation qu’entretient l’auteur avec son art. D’abord, l’idole c’est cette mère absente dont il ne connaît que des images. Cette mère dont il vénère les reliques et les souvenirs. La plume atome et son porte-plume orange, si difficile à irriguer pour un enfant. Une coquillette sur un pot de chambre. Mais l’idolâtrie est aussi l’offense que le dessinateur doit éviter. Le rabbin insiste : il ne faut pas remplacer le monde par des images. Les seuls dessins louables sont ceux qui cherchent à comprendre le monde et ceux qui cherchent à le raconter. En plus de l’homme de foi, ce sont les professeurs d’art et les artistes qui guident l’infatigable Sfar. Et chacun y va de son commentaire. Tout ce beau monde prêche, convaincu, pour des chapelles différentes. Certains pensent qu’il faut savoir dessiner la vie dans son mouvement quand d’autres préconisent l’étude minutieuse des règles de la perspective et de l’anatomie.

Psychanalyse

Et quelque part, dans ce capharnaüm de certitudes, se tient Sfar. Le Sfar des compromis. Celui qui donnera à toutes les opinions assez d’importance que pour figurer dans son livre, sans échelle de valeurs. Tout ça, pour philosopher, lui dont c’est le diplôme. Il se donne en allégorie, interrogeant la différence entre vide et manque. Le rapport entre la reconstitution d’un souvenir et la création d’une image. Et puisque son sujet se nourrit de doutes et que la mère absente y occupe une place prépondérante, Les Idolâtres peut bien se payer une petite psychanalyse sur le tas. L’album démarre en une logorrhée auto-reflexive que Sfar adresse à son psy. Et la séance se prolonge au fur et à mesure de l’album.

Le premier volet était politique, le second sera philosophique. C’est ce qui le rend plus désordonné. Les souvenirs n’ont ni ordre de grandeur, ni ordre de passage. La réalité se mue parfois en de fantasmes élucubratoires. Le dessin est une religion capable de faire parler les gorilles et de pousser les moines à l’obscénité. Mais toute cette pagaille c’est aussi ce qui crée la richesse. Sfar butine de-ci, de-là, toujours avec ce concept conducteur et fédérateur de l’image.