“Le Garçon et le Héron”, l’héritage de Miyazaki

Le Garçon et le Héron
de Hayao Miyazaki
Animation, Drame, Aventure
Sortie le 1er novembre 2023

Tandis que Hayao Miyazaki annonce partir à la retraite après la sortie de chacun de ses films depuis 1986, il semblerait que le réalisateur aujourd’hui âgé de quatre-vingt-deux ans ait bel et bien décidé de livrer son chant du cygne… ou plutôt du héron !

Après le décès de sa mère, le jeune Mahito Maki devra quitter Tokyo pour aller vivre dans le village natal de celle-ci. Dès son arrivée dans sa nouvelle maison, il rencontrera un héron cendré qui l’entrainera vers une tour abandonnée autrefois bâtie par son grand-oncle et cachant un mystère…

À certains égards, Le Garçon et le Héron relève parfois du film-synthèse pour Miyazaki, dans la mesure où il rassemble énormément des thématiques chères au réalisateur : l’action située durant la Seconde Guerre mondiale rappellera Le Vent se lève (2013) – voire même le célèbre Tombeau des lucioles de Isao Takahata (1988) ; la découverte d’un « monde derrière le monde » renverra au Voyage de Chihiro (2001), au Château ambulant (2004) et, dans une moindre mesure, au Château dans le ciel (1986) ; et le rapport à la nature rappellera Mon voisin Totoro (1988), Nausicaä de la Vallée du Vent (1984) ou encore Princesse Mononoké (1997).

Par-dessus tout, ce nouveau long métrage semble être le plus personnel de Hayao Miyazaki. Car là où celui-ci se racontait discrètement à travers les thématiques abordées dans ses précédents films, Le Garçon et le Héron est envisagé comme un testament à sa propre mémoire. Interrogé sur la raison de l’existence de ce nouveau film, le producteur Toshio Suzuki déclarera à la presse : « Miyazaki fait ce nouveau film pour son petit-fils. C’est sa façon de dire ’Grand-père s’en va vers l’autre monde, mais il laisse ce film derrière lui’ ».

Avant toute chose, Le Garçon et le Héron trouve ses inspirations dans deux livres destinés à la jeunesse, l’enfance étant une thématique chère à Miyazaki ! The Book of Lost Things de John Connoly (2006), et Et vous, comment vivrez-vous ? de Genzaburō Yoshino (1937) serviront ainsi de base au récit ici raconté (sans pour autant être des adaptations stricto sensu). Tandis que la tour mystérieuse vers laquelle le héron conduira Mahito sera inspirée par le roman Yūrei-tō de Edogawa Ranpo (1937) – qui avait déjà influencé certains éléments du Château de Cagliostro (1979).

Ainsi, Le Garçon et le Héron est une histoire de transmission : celle d’un réalisateur au crépuscule de son existence qui replonge dans le monde de l’enfance pour raconter à son petit-fils le monde de demain !

Quant au héron, il apparaitra dans toute son ambivalence, comme bien des personnages de Miyazaki. Sans que l’on connaisse toujours ses motivations, celui-ci accompagnera Mahito dans une grande partie de son aventure, parfois contraint et parfois de son propre gré.

En ce sens, l’animal pourrait être vu comme une incarnation de Hayao Miyazaki lui-même guidant son petit-fils à travers le dédale de l’existence. Car au Japon, le héron symbolise le cycle de la vie et le voyage de l’âme humaine après la mort jusqu’à la renaissance. Comme une façon pour le réalisateur de se transmettre lui-même à sa descendance en partageant ce qu’il aura retiré de sa propre existence.

Apprenant l’histoire de sa famille, Mahito devra alors apprendre à façonner son propre univers et à devenir la meilleure version de lui-même, avec pour choix de poursuivre ou non l’œuvre de son grand-oncle. Sachant qu’il n’appartient qu’à lui – et donc à nous – de faire en sorte que notre monde soit le plus beau possible !

Presque comme Rudyard Kipling écrivait jadis à son fils « si tu peux voir détruire l’ouvrage de ta vie et sans même un seul mot te mettre à rebâtir », Hayao Miyazaki invite son petit-fils et le spectateur à apprécier, à respecter, à protéger et à embellir nos mondes intérieurs autant que notre planète. L’homme d’hier confiant ainsi une mission de la plus haute importance à celui de demain…

Derrière tout cela, Le Garçon et le Héron enseignera au spectateur à embrasser ses imperfections et ses erreurs passées. Car c’est en acceptant celles-ci et en cherchant sans cesse à progresser que nous saurons perpétuellement (re)créer le monde à venir.

Ainsi, magnifié par la somptueuse et envoûtante musique de Joe Hisaishi, Le Garçon et le Héron constitue l’une des plus belles œuvres du réalisateur, teintée d’un optimisme inébranlable en l’avenir malgré les difficultés que nous rencontrons et rencontrerons toujours. En partant du merveilleux, Hayao Miyazaki nous aura une fois de plus ramené à la réalité, comme une façon de nous dire une dernière fois qu’il n’appartient qu’à nous de rendre notre réalité merveilleuse…