« L’autre fille », ta sœur est morte mais tu es vivante

Titre : L’autre fille
Autrice : Annie Ernaux
Editions : Folio
Date de parution : 17 août 2023
Genre : Roman, récit

Jeune fille, Annie Ernaux entendit une conversation entre sa mère et une voisine, une conversation qu’elle n’était pas supposée entendre. Elle croit se souvenir y avoir appris l’existence d’une sœur, morte de la diphtérie à l’âge de 6 ans, 2 ans et demi avant sa naissance à elle. De sa sœur, sa mère dira à cette voisine qu’« elle était plus gentille que celle-là », « celle-là » désignant Annie Ernaux.

L’autre fille, c’est donc cette sœur, cette inconnue. Un modèle, partie rejoindre l’enfant Jésus, une Sainte dont la mort rendit ses parents fous de douleur (son père était-il aussi fou que cette fois où l’autrice crut qu’il allait tuer sa mère ?). Adolescente, Annie n’en a pas vraiment eu cure, de cette fille disparue. Elle avait une vie à vivre. C’est en devenant écrivaine, en s’obligeant à écrire qu’elle se mit à détricoter les fils de cette disparition.

Elle se devait d’écrire un livre sur elle, pour la faire renaître et la tuer une nouvelle fois. Cette évocation de la naissance de sa sœur, Ginette, prénom bien de ce temps-là dont l’autrice se moque un peu, n’eut lieu qu’une seule fois. Annie n’entendit plus jamais sa mère parler d’elle, même devenue adulte. Elle ne prit pas la peine non plus de questionner ses parents. Ils n’avaient qu’une fille, « l’intrépide », « le diable au corps », la Sainte ayant quitté le foyer depuis longtemps. Elles n’auraient pas pu coexister, de toute façon, le coût de la vie d’antan ne l’aurait pas permis dans ce foyer. L’autrice aussi, pourtant, avait failli périr au même âge, faute de vaccins.

Dans le récit, Annie Ernaux parcourt des photos et le temps passé. Pas d’images mouvantes, mais des images sépia fixes représentant une petite fille boudeuse, sa sœur, qui « n’a pas l’air de s’aimer ». Comment penser l’existence de cette âme dite pure à travers ces quelques éléments de vie ?

L’écrivaine se remémore et s’attache à la mort de cette petite qu’elle n’a pas connue, parfois de manière détachée, tout en réfléchissant à son parcours, en affirmant ses choix, sa manière d’être. Si elle, Ginette, est morte, c’est qu’elle, Annie, devait vivre, se dit-elle. Si elle a pu écrire, mener une vie d’écriture, c’est parce qu’Annie en a décidé ainsi. Raconter la non-existence de sa sœur accorde un peu plus de sens à ce projet-là. C’est un texte qu’on lit d’une traite, absorbé par les méandres des souvenirs familiaux, ceux de l’autrice, partageant ses interrogations et ses questionnements existentiels, et les nôtres.