L’art comme quête de plénitude : conversation avec Pierre Haezaert

Dans cette période de confinement, où les théâtres et les cinémas sont fermés, les concerts et les festivals annulés, les ateliers et les cours suspendus, ce n’est pas anodin de réfléchir autour de l’essence de l’art et de la création artistique. En tant qu’outil d’expérimentation du monde et source d’inspiration, l’Art, un peu comme l’Amour, aide à combler le vide de sensations et à apprivoiser le vertige.

Maintenant que tout est fermé et que l’on est à la maison, dans cette période de confinement global, que serait-il de nos journées s’il n’y avait pas de la musique, des films, des livres ? Si on ne pouvait pas écrire, dessiner, jouer d’un instrument ? Les circonstances actuelles nous rappellent plus que jamais l’importance de l’art dans notre vie. Que l’on soit artiste ou spectateur, on a besoin d’art. Notre société a besoin d’art : de ressentir, d’expérimenter l’univers sensible, de réfléchir. L’art en tant qu’étincelle et inspiration, mais aussi en tant qu’outil social, source de divertissement et de réflexion, semble être, depuis toujours un des chemins privilégiés pour accéder à la vérité des choses. Une quête infinie vers l’épanouissement des sens. J’ai échangé sur ce sujet avec Pierre Haezaert, comédien, musicien et artiste polyédrique que j’ai eu le plaisir de rencontrer en 2016 à l’Espace Magh, pendant la création de J’appelle mes frères, mis en scène par Rachid Benbouchta.

En tant que comédien, comment tu vis ta recherche artistique ? Qu’est-ce qui nourrit ton élan ?  

Je suis acteur de profession depuis 11 ans. Ce qui me motive à trouver toujours de nouveaux élans dans ma recherche artistique est le fait que chaque expérience a ses propres énergies, ses propres circonstances. Au fait, tu n’as jamais fini. Chaque centre culturel t’accueille différemment, avec sa propre organisation : toute circonstance influence l’aventure théâtrale qui n’est jamais la même. Jamais !

Ça vaut aussi pour chaque personne avec qui tu travailles… dans ce métier les rencontres t’enrichissent et chaque projet amène à des rencontres différentes.

Bien que ton « art principal », pour ainsi dire, soit le théâtre, j’ai l’impression que ta recherche artistique soit exceptionnellement nourrie par d’autres disciplines artistiques que tu pratiques également…

Le théâtre m’a, au fil du temps, fait découvrir d’autres passions, comme la musique, l’écriture et la peinture. Chacun de ces arts a un rythme différent. Le théâtre et la musique sont des arts éphémères et nécessitent l’immédiateté d’un public. Pour moi, le but de chaque aventure artistique, dans le théâtre et dans la musique, est le rassemblement.

L’écriture et la peinture ont des démarches plus solitaires, mais les « œuvres » perdurent dans le temps. La combinaison des différents arts me donne un bon équilibre dans la création. Être dans une surexposition (théâtre-musique), ou au contraire rentrer dans mon cocon pour la peinture et l’écriture…

Après je trouve que le métier d’acteur et le fait de faire de la musique m’animent au plus haut point! C’est des disciplines qui créent le dialogue. Après avoir joué une pièce de théâtre, on a l’occasion d’échanger avec le public, pendant un concert, on voit danser les gens et puis on parle après au bar. J’ai l’impression que c’est un des rares métiers où on a l’occasion d’échanger avec le public. Peut-être encore, un des seuls rassemblements ou le public est convié à s’exprimer. Rendant à la cité ses titres de noblesse ! Et c’est bien pour le public qu’on le fait. Pour être aimé, se sentir fragile et puissant à la fois.

Comment, dans ton travail artistique, les différentes disciplines artistiques se nourrissent l’une l’autre ?

J’ai commencé à jouer de la musique, à peindre, écrire pendant les moments où j’avais moins de travail en tant qu’acteur (les moments de chômage ont ça de bon !). Et puis en pensant toujours qu’à un moment les différentes disciplines se lieraient (ce qui se passe aujourd’hui) ! Je joue beaucoup des pièces de théâtre où l’on me demande de sortir l’harmonica ou la guitare, d’écrire un texte de rap… on m’a également proposé de peindre sur scène. Cela me réjouit car je n’ai jamais aimé séparer les arts.

Je vais prochainement jouer une pièce écrite par Axel Cornil au Rideau de Bruxelles et au MARS de Mons, sur le désarroi des fermiers et les fermes au 21ème siècle. En février et mars ! Où l’on jouera du Blues également. La pièce sera jouée en français et en néerlandais car tous les acteurs sont bilingues. Un autre rêve qui se réalise, celui de pouvoir jouer dans ma langue maternelle.

Quelle est ta relation à l’harmonica, et pourquoi ?

Il y a 8 ans, j’ai écouté Hard working women et So hard to leave you alone de Carey Bell et j’ai su à ce moment que je voulais jouer de l’harmonica et le blues. Le lendemain j’ai acheté un harmonica et je n’ai plus arrêté depuis. Tous les jours un peu! Surtout dans les bouchons pour aller ou revenir de Bruxelles puisque j’habite dans une forêt à Holsbeek. Je joue dans la voiture pour m’évader du trafic. J’ai rencontré Bertrand Werbroeck (harmoniciste) qui me donne encore et toujours des bons conseils aujourd’hui.

Et puis j’ai écumé pas mal de Jam sessions à Bruxelles à Louvain, à Gand…, pour rencontrer des musiciens. J’ai un faible pour le blues, le boogie et la country. Cela me déchire et paradoxalement me met en grande joie. Chanter sa peine, se libérer des chaines est pour moi très enthousiasmant.

Chaque bluesman est différent et amène son style. Pour un harmoniciste c’est génial car cela l’oblige à comprendre l’univers de l’autre… L’harmonica est plus souvent en réaction qu’en action.

Il n’impose pas, au contraire, il suit l’univers du chanteur et des autres zicos. C’est un instrument merveilleux! Petit, accessible à tous! Il ne semble pas si difficile, mais toute la quête est la recherche du son. LE son, The Tone comme le disait Muddy Waters. Tout le monde peut jouer de l’harmonica, mais la recherche du son est le chemin de toute une vie. Le chemin est encore long mais beau pour l’instant, remplis de rencontres. Cela m’a permis de rencontrer mon groupe de musique BARIUS HOPELESS BAND (page FB : BariusHopelessBand), avec lequel on fait des compositions et des reprises de blues.

Quand tu parles de la création artistique, j’ai l’impression c’est comme une recherche constante, pratiquement infinie…

La création artistique est comme une histoire d’amour où, pour comme je le vois moi, rien ne doit être jamais acquis. On continue de bosser pour enrichir son propre langage, parce que finalement c’est ça, l’art c’est une question de langage. Pourquoi il y a des comédiens de quarante ans qui font encore des stages ? C’est justement pour enrichir ce langage et pour combler un vide de sensations. La connaissance amène à la sensation et c’est ça dont on se nourrit. De sensations. L’artiste est en constante recherche de sa plénitude. C’est pour ça aussi qu’on répète autant de fois au théâtre. Ce n’est pas tant pour connaitre le spectacle, non, c’est pour jouir sur scène, parce que c’est jouissif… L’amour et l’art finalement sont très proches. C’est pour ça aussi que parfois, en tant qu’artiste, on vit la haine aussi, exactement comme ça peut arriver dans une relation amoureuse. On se dit qu’on a envie de tout jeter, que c’est dur de gagner sa vie, que ça en vaut pas la peine… mais après, tu te sens riche. Pauvre mais riche !

A propos Elisa De Angelis 55 Articles
Journaliste du Suricate Magazine