Fragments d’une aux Riches-Claires : vivisection de femmes-objets et d’objets-femmes

De Lisa Cogniaux, avec Stéphanie Goemaere, Camille Dejean et Lisa Cogniaux. Du 20 avril au 6 mai 2022 aux Riches Claires.

Comment la fabrication des actrices, entre les personnages fictifs qu’elles jouent et l’image publique qu’elles incarnent, modèlent les corps féminins aussi bien que leurs destinées possibles ?

Fragments d’une, c’est deux comédiennes et une pianiste qui exhument et réinterprètent des scènes cultes, des interviews et des articles de magazine dont les mots ont pris un sacré coup de vieux, y compris quand ils datent d’il y a quelques mois.

Retraçant les qualités des différents personnages et des personnes qui servent de modèles aux petites et moins petites filles dans leur construction, la pièce souligne le peu d’espace réservé à celles qui ne sont pas avant tout définies par leur beauté.

De Cendrillon sauvée par un prince sans nom car elle est belle et douce (contrairement à ses demi-sœurs laides et mauvaises), de Marilyn Monroe qu’on refuse de considérer au-delà de sa plastique, à Catherine Deneuve qu’on loue pour son élégance et ses choix esthétiques judicieux « pour une femme de son âge », en passant par le strip-tease en tenue de marin d’Anna Karina qui « dis toujours oui // quand on lui dit : viens chérie »…

A travers les réinterprétations plus ou moins réappropriées, distordues ou décalées, se dessine un portrait morcelé de ce que doit et peut être une femme/actrice dans l’imaginaire collectif : jolie et passive. Une image qui semble perdurer malgré le temps qui s’écoule, malgré les injonctions qui se font plus insidieuses, malgré ses contours moins nets et les révélations des contradictions qui la façonnent.

Changeant de costumes comme elles changent de peau, les comédiennes mimiquent, dansent et  reproduisent les chorégraphies de la féminité jusqu’à l’épuisement, jusqu’à que les gestes perdent leur sens et que la mécanique se distorde.

La différence de traitement réservé au masculin est particulièrement flagrante dans une intervention hilarante d’un certain Jean-Luc Godard balayant les considérations d’un journaliste qui trouve hautement suspicieux que Brigitte Bardot accepte encore de se déshabiller pour une scène alors qu’elle « vaut [déjà] de l’or », avant de se demander pourquoi lui, le grand réalisateur qui ne fait que ce qu’il veut, ne se filme pas de la sorte. Rejouant la scène iconique du « Mépris », la comédienne devient le réalisateur reprenant le rôle de l’actrice. Si le doublage suffit à donner une toute autre dimension à la scène, on  regrette un peu de ne pas avoir eu droit à un long-plan séquence parcourant le corps d’un comédien qui demande si ses chevilles sont belles, mettant un peu plus en lumière les différences de mises en scène des corps en fonction de leur genre.

La pièce reste une réussite, invitant à la réflexion sur les représentations inconscientes du féminin tout en offrant aussi bien des moments émouvants et poétiques que des échanges grotesques et franchement drôles.

(Et une mention spéciale aux splendides fausses affiches de films qui valent à elles seules le déplacement.)