La Nuit des Rois ou l’échec du désir personnel face au vivre-ensemble

@ AllanBeurms

De William Shakespeare. Adaptation et traduction de Daphné D’Heur et Thierry Debroux. Mise en scène de Daphné D’Heur. Avec Cindy Besson, Didier Colfs, Enea Davia, Soufian El Boubsi, Margaux Frichet, Maxime Laal Riahi, Nicolas Ossowski, Benjamin Van Belleghem, Valentin Vanstechelman et Anouchka Vingtier. Du 19 janvier au 18 février 2023 au Théâtre Royal du Parc.

Une tempête éclate, un vaisseau sombre dans la mer déchaînée, des jumeaux Viola et Sébastien sont séparés et chacun pense que l’autre a péri. Viola décide de se placer sous la protection d’Orsino sous les traits d’un homme (Césario) afin de survivre “en milieu hostile”. Sébastien, lui, doit traverser l’île afin de se rendre à la cour du duc Orsino pour y trouver de l’aide et réconfort, il sera accompagné de son fidèle ami, Antonio. Dans cette intrigue primaire dite “marine”, se glisse une intrigue secondaire dite “terrestre”. L’Illyrie est un royaume gouverné par Orsino, un duc épris d’amour pour la comtesse Olivia qui est, quant à elle, enfermée dans son deuil. Les deux cours sont construites en miroir, aux côtés d’Orsino, nous retrouvons sa suite composée de Curio et de Valentin. Olivia est quant à elle accompagnée de sa dame de compagnie Maria, de son fou Feste et de son intendant Malvolio. Autour d’elle gravite un duo digne des plus grandes farces, son parent Toby (Soufian El Boubsi) et l’un de ses compagnons de beuverie Andrew (Enea Davia).

Comme vous le savez, les imbroglio et les brouillages de pistes sont chers à Shakespeare, les personnages semblent toujours malmenés par un espace hostile et essaye de comprendre quelle est leur place dans ce jeu d’échiquier, n’hésitant pas à sortir l’épée (Jacques Cappelle) pour nous faire voire ces combats intérieurs qui les animent. La question centrale est : où se trouve le réel et l’illusion ?

La mise en scène de Daphné D’Heur, accompagnée de Catherine Couchard, nous permet de percevoir tout cela, le décor est rapidement planté. La scénographie de Vincent Bresmal et Matthieu Delcourt appuie cette illusion. L’espace scénique est très aéré et donne ainsi une dimension d’infini pourtant divisé en deux : la cour d’Orsino et la cour d’Olivia. Le travail de construction de décor est, comme souvent au Théâtre Royal du Parc, incroyable et impressionnant (Perle Hervio, Sylvain Formatché, Lucas Vandermotten, Isis Hauben, Aline Claus, Pierre Cap et Anaïs Thomas). De plus, les éléments du décor ne cessent de bouger, de se dérober, les comédiennes et comédiens dévoilant sans cesse au public de nouveaux espaces insoupçonnés (merci l’équipe technique). Les pistes sont constamment brouillées. La pureté et le minimalisme de ces grandes constructions permettent tout de suite de sentir une ambiance qui oscille dans un entre-deux non identifiable. La scène est sombre et lourde, mais nous voyons qu’au fur et à mesure que nous approchons du dénouement, la lumière (Philippe Catalano) se fait plus grande, le voile se lève et la vie reprend en Illyrie. Cela va de pair avec une quête initiatique qui pousse chacun des protagonistes vers la lumière et la vérité, ils parviennent à accepter une partie d’eux-mêmes jusque-là insoupçonnée ou enfouie. Tous semblent écraser par leur désir marqué dans leur chair. Ce dernier les empêche de voir la réalité autour d’eux. Nous assistons à une sorte de dialogue de sourds puisque chacun tente de répondre à son désir personnel sans pour autant se soucier des alentours, des autres. Une fourmilière où personne ne sait dans quelle direction aller. Pourtant… nous comprenons que la lumière ne peut être pleinement assumée que lorsque tout le monde reconnaît son désir le plus profond et le révèle aux autres. La scène “chorale” finale permet une résolution sortie du chapeau d’un magicien. Selon nous, cela renvoie également au projet même de la pièce de théâtre : travailler ensemble pour offrir au public une vérité et ne pas s’enfermer dans un désir personnel stérile.

En opposition à ce décor brut et statique exclusivement noir et blanc, les costumes amènent le dynamisme, la couleur et un mélange de cultures très intéressant. L’équipe de couturières (Camille Dawlat, Sarah Duvert, Laure Norrenberg, Béa Pendesini, Elodie Pulinckx, Albane Roche et Catherine Sauvage) ont abattu un travail colossal afin de réaliser les croquis et idées d’Anne Guilleray. Ils permettent de projeter les comédiens et comédiennes sur ce fond neutre, de leur donner une certaine épaisseur. Les costumes eux-mêmes participent à cette volonté d’illusion qui surplombe l’entièreté de la pièce. De plus, Anne Guilleray, par ses choix, parvient à donner une dimension intemporelle à ses costumes. Les maquillages et coiffures (Florence Jasselette accompagnée de Céline Yetter, Sarah Ghobert, Eva Moucheron et Marie Mantovani) se glissent parfaitement dans la logique intemporelle et frappante des costumes et appuient également cette ambiance d’illusion.

Si nous retrouvons sur scène des comédiens et comédiennes déjà bien connus des planches du Théâtre Royal du Parc (Nicolas Ossowski charismatique Orsino, Cindy Besson incroyable Maria, Valentin Vanstechelman déconcertant Feste, Didier Colfs redoutable Malvolio, Anouchka Vingtier intransigeante Olivia), La Nuit des Rois nous a permis de découvrir d’autres comédiens comme le fabuleux duo formé par Andrew (Enea Davia) et Toby (Soufian El Boubsi) ainsi que des nouveaux talents “fraichement” sortis du conservatoire (Margaux Frichet merveilleuse et surprenante Viola, Maxime Laal Riahi intrépide Sébastien,  Benjamin Van Belleghem fougueux Antonio).

Voguez jusqu’au Théâtre Royal du Parc pour découvrir ce classique de Shakespeare et laissez-vous porter par les vagues des désirs des protagonistes.